10 ans de crise économique | Henri Houben (2/2) : « Trump veut cibler la Chine parce qu'elle se développe trop à ses yeux »

Il y a dix ans, la banque Lehman Brothers s’écroulait, entraînant l’ensemble du système bancaire avec elle. Que s’est-il passé aux États-Unis ? Comment le pays où a éclaté la crise a-t-il réagi ? Comment expliquer la politique de Trump vis-à-vis de la Chine ? Deuxième partie de l'interview de l’économiste et chercheur Henri Houben.

Que s’est-il passé aux États-Unis depuis 10 ans ? Qu'est-ce qui a été mis en place ?

Henri Houben. Il y a eu une politique monétaire extrêmement souple par laquelle la banque centrale a donné directement l'argent aux banques, ce qui a permis à celles-ci de continuer à fonctionner et de fournir des liquidités aux entreprises. Et on a limité les actions que peuvent mener les banques pour éviter par exemple ce qui avait été fait par Goldman Sachs : à la fin de la période de croissance des crédits subprimes et au début des problèmes, Goldman Sachs investissait contre les subprimes, alors qu'elle disait à leurs clients d’acheter des crédits subprimes. Bref, il y avait une contradiction entre ce que la banque faisait et ce qu'elle donnait comme conseils à ses propres clients. Elle a d'ailleurs été condamnée pour cela. Mais Trump veut faire sauter cette limitation, qui est la principale – faible – mesure prise aux États-Unis.

Il n'y a plus de subprimes mais il y a toujours des crédits à la consommation et les crédits étudiants qui sont très problématiques

Donc, la banque centrale américaine, la FED, a repris tout ce qui était toxique en échange de liquidités pour essayer de relancer la machine. Est-ce que ça a marché ?

Henri Houben. Relativement. Ils ont effectivement fourni des liquidités à des secteurs qui étaient demandeurs, par exemple celui du gaz de schiste qui se développait à ce moment-là ou au secteur des nouvelles technologies qui engendre de nouveau la croyance que ça va se développer de manière phénoménale. Mais Tesla, par exemple, ne fait pas un dollar de bénéfice et accumule les pertes depuis toutes les années qu'il produit des voitures électriques. Donc on peut s'attendre à de nouveaux problèmes. Certes, il n'y a plus crédits subprimes et de crédits immobiliers aussi fantaisistes, mais par contre il y a toujours des crédits à la consommation et les crédits étudiants qui sont très problématiques, par exemple. Et les États-Unis restent avec leurs problèmes majeurs.

Quels sont-ils ?

Henri Houben. D'abord, le déficit commercial structurel. Comme les États-Unis ne produisaient plus toute une série de produits – la production a soit été délocalisée soit fermée –, ils achètent à l'étranger. L'électronique, le textile, les montres, les jouets, etc., tout cela est importé, entre autres de Chine, pays qui s'est fortement développé. Il y a donc aux États-Unis un excédent de la consommation sur la production, et cet excédent de la consommation est fourni par les pays étrangers. Et ce problème ne sera pas résolu par la guerre commerciale de Trump (via le protectionnisme, les taxes douanières, etc.), parce que si les États-Unis n'importent plus de produits chinois, ils devront bien aller acheter ailleurs puisqu'ils ne produisent plus eux-mêmes. En agissant ainsi, Trump bloque la soupape qui maintenait un certain équilibre avec les autres pays exportant vers les États-Unis, et il bloque tout le schéma qui avait fonctionné avant. Même si ce schéma-là arrivait en bout de course, le fait d'essayer de le renverser va probablement faire sauter la soupape.

Ensuite, deuxième problème américain, c'est l'endettement, qui a grossi de manière assez importante. Il était sur le dos des ménages au moment de la crise des subprimes, puis il est passé au niveau de l'État. Et les mesures que Trump a prises vont aggraver encore cette dette publique. Parce qu'il veut augmenter les dépenses militaires et en contrepartie diminuer les dépenses sociales et les dépenses écologiques. Cela va encore aggraver les choses.

Il y a aux États-Unis un excédent de la consommation sur la production, et cet excédent de la consommation est fourni par les pays étrangers

Pourquoi ce déficit commercial pose-t-il maintenant problème à Trump ?

Henri Houben. Pour différentes raisons. D'abord, ce modèle-là ne peut pas continuer, puisqu'on est maintenant dans un système de désendettement des ménages. Les ménages ne consomment plus autant, et donc ça veut dire que s'ils gagnent un peu plus, ce qu'ils vont faire c'est rembourser leur dette, et ça, du point de vue économique, ça ne va pas pousser les États-Unis à la croissance. Donc ce modèle-là est relativement bloqué. Ensuite, ce système permettait de conserver la primauté des États-Unis. Or, actuellement, le fait d'avoir permis à la Chine de prendre une part importante du marché américain lui a permis de développer son niveau économique, mais aussi technologique, et les Chinois apprennent assez vite. Ce ne sont plus juste des « copieurs », dans certains domaines ils sont très à la pointe. Et les États-Unis savent très bien que s'ils continuent à fournir des « armes » aux Chinois, cela va à un moment donné se retourner contre eux. Ils veulent donc prendre des mesures pour contrer ça. Ils veulent cibler la Chine parce que ce pays se développe trop à leurs yeux.

Et quelles sont les mesures que prend maintenant Trump ?

Henri Houben. Il a pris des mesures sur 34 milliards de dollars de déficit commercial des importations chinoises. La Chine a répliqué en annonçant des mesures sur l'équivalent. Bref, ce sont des taxes douanières qui rendent les produits plus chers. Mais il n'y a pas de production américaine qui est là, prête à prendre la part de marché. Ce seront peut-être les Mexicains ou les Taïwanais ou autres qui pourront leur fournir l'équivalent. Cela va poser aussi des problèmes à ceux qui achètent ces produits-là, parce que c'est une politique qui est suivie par l'administration Trump mais ce n'est pas une politique qui est bénie par tout le patronat américain. Par exemple les entreprises automobiles achètent des petits composants à la Chine qui les fabrique de manière beaucoup moins chère.

Les États-Unis savent très bien que s'ils continuent à fournir des « armes » aux Chinois, cela va à un moment donné se retourner contre eux

Est-ce que les choses ne peuvent pas se résoudre de façon économique, se rééquilibrer ?

Henri Houben. Je ne crois pas du tout, parce qu'on a contribué à créer les déséquilibres. Si on veut vraiment répondre au déséquilibre, il faut changer complètement son fusil d'épaule. Il faut développer l'égalité dans la répartition des richesses, donc aussi développer les zones les plus arriérées. Il faut s'opposer à la position hégémonique des États-Unis, inacceptable au niveau mondial. Et, évidemment, les États-Unis – et il n'y a pas qu'eux – ne l'accepteront pas. Sur ce plan-là, l'opposition entre les Républicains et les Démocrates est assez faible. Pour les Républicains genre Trump, c'est : les États-Unis doivent garder leur position hégémonique et conserver le leadership au niveau mondial ; pour les Démocrates, c'est juste un peu plus souple : les États-Unis doivent participer à un système plus équilibré au niveau mondial, mais quand même avec les États-Unis comme acteur le plus important.

À quoi va mener la situation actuelle ? À une guerre militaire ?

Henri Houben. Si nous n’allons pas à l’encontre de la logique actuelle, je crains le pire. C'est cela qui risque de se passer si on laisse faire les classes dominantes, sauf si les peuples se révoltent contre cela. Pour en sortir, il faut en effet un autre système, mettre en place d'autres mécanismes de résolutions des conflits, développer une répartition beaucoup plus équitable des richesses dans chaque pays – non seulement augmenter les revenus des pauvres mais aussi réduire les richesses des très riches, parce que les plus riches font tout augmenter. Il faut aussi plus d'égalité dans la distribution des richesses entre les pays pour permettre le développement des régions. Par exemple, ici en Europe, nous sommes confrontés à un problème qu'on dit majeur : les migrations, dont une bonne partie vient d'Afrique. Mais si ces migrants viennent ici, c'est à cause de la catastrophe économique chez eux. Donc, pour éviter cela, il faut investir dans le développement économique concret, pas simplement donner de l'argent à un gouvernement tout en le contraignant à, par exemple, demander à Bouygues de construire une infrastructure... Or, un autre genre de modèle de développement n'est pas du tout dans l'intérêt des grands capitalistes. C'est donc par la lutte de classes que l'on peut faire bouger le système. Ce système actuel n'est pas en faveur des gens, et donc les gens devraient se poser des questions pour changer vraiment de perspective.

Il y a un risque de guerre si on laisse faire les classes dominantes

Dans son discours, Trump clame que les travailleurs américains sont dupes de l'économie qui avantage, par exemple, les Chinois et que, lui, il va les protéger…

Henri Houben. Dans la propagande de Trump, c'est effectivement le travailleur américain contre le travailleur chinois ou mexicain. Mais dans les faits, il ne protège pas du tout les travailleurs. Bien au contraire, il fait tout pour les riches, il essaie de baisser au maximum les dépenses sociales et écologiques et il donne des cadeaux fiscaux aux plus riches.