Christophe Wasinski : « Augmenter les dépenses militaires n'amène pas plus de sécurité, au contraire »

Les partis qui négocient le futur gouvernement sont tous d’accord pour augmenter les dépenses militaires de la Belgique. Est-ce un pas vers plus de paix et de sécurité ou, au contraire, de l’huile sur le feu des conflits mondiaux ? Christophe Wasinski, spécialiste des questions de sécurité internationale, analyse les implications et les conséquences des orientations politiques de la coalition Arizona en matière de défense et d’armement.

Que contiennent les notes de négociation des partis de la coalition Arizona révélées par la presse en termes de politique de défense et de paix ?

Christophe Wasinski. La future coalition veut maintenir les dépenses militaires élevées – et même les accroître. Elle a aussi pour ambition d'acquérir de nouveaux équipements coûteux pour les forces armées belges. Ce n'est malheureusement pas une surprise. C'est une politique de droite classique avec un renforcement des forces armées.

Le budget des forces armées a pourtant déjà considérablement augmenté ces dernières années…

Christophe Wasinski. En effet. Depuis le Gouvernement Michel (2014-2019, ndlr), des contrats très importants ont été conclus pour acquérir beaucoup de matériel pour les forces armées. Cela représente environ 20 milliards d'euros. Je trouve assez problématique de vouloir continuer d'augmenter les dépenses de défense et d'acheter davantage de matériel alors que des dépenses très conséquentes ont déjà été réalisées.

Est-ce à cause de l'Otan, qui impose aux pays membres de consacrer 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires ?

Christophe Wasinski. L'Otan est avant tout un forum politique. C'est une alliance d'États qui discutent d'un certain nombre de choses et prennent des décisions en commun. Mais il n'y a pas d'obligation, au sens juridique, de respecter une norme en matière de dépenses de défense.

Par ailleurs, ce chiffre de 2 % a été fixé de manière arbitraire. C'est un chiffre symbolique et simple qui pouvaient rassembler politiquement les États. Mais normalement, quand on prend des décisions relatives aux dépenses de défense, on fait d'abord une analyse des conditions de la menace. Si la menace est importante, alors on peut décider de dépenser davantage, mais si elle est moindre, on peut aussi décider d’être à moins de 2 %.

Enfin, si on considère l'ensemble des États européens de l'Otan (la France, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Grand-Duché du Luxembourg, etc.), sans compter les États non-européens (le Canada et les États-Unis), on constate que les dépenses militaires sont déjà extrêmement élevées : plus de 300 milliards d'euros par an. C'est bien plus que la Russie.

La Russie est une menace régionale. Elle mène actuellement une guerre contre l'Ukraine. Mais on ne peut pas affirmer qu’elle est une menace pour les États de l'Otan. Elle a déjà perdu beaucoup de moyens militaires en Ukraine. Si elle parvenait à occuper un territoire plus important en Ukraine, elle devrait mobiliser une part importante de ses ressources militaires pour assurer l'occupation de ces zones. Cela signifie qu'une partie de ses ressources militaires seraient bloquées en Ukraine. On exagère actuellement le niveau de la menace et du danger.

Est-ce que le contenu des notes de négociation participe à plus de paix dans le monde ou, au contraire à une augmentation des conflits internationaux ?

Christophe Wasinski. Il existe un mécanisme en relations internationales qu'on appelle le dilemme de la sécurité. Si vous achetez beaucoup d'armes, vous allez inquiéter vos voisins et ceux-ci auront probablement envie d’avoir la capacité de se défense. Et eux aussi vont acheter des armes. On lance ainsi des cycles d'armement qui peuvent être sans fin.

Autrement dit, l'idée selon laquelle si on dépense davantage pour nos forces armées, on serait plus en sécurité, n'est pas du tout une évidence. C'est plutôt tout le contraire : au plus on dépense, au plus on risque de mettre de l'huile sur le feu dans les conflits en cours.

Quelles sont les conséquences concrètes pour les gens de l'augmentation des dépenses militaires ?

Christophe Wasinski. Dans le secteur de la production d'armement, ça peut avoir des retombées positives, mais seulement à court terme. À plus long terme, une fois qu'on aura produit assez d'armes pour la Belgique et l'Europe, et que la situation se sera calmée en Ukraine, que fera-t-on de ces capacités de production ? Traditionnellement, ce qu'on a fait dans ces cas-là, c'est exporter des équipements vers des États autoritaires comme l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis, qui s'en servent pour créer d'autres conflits. C'est problématique.

Par ailleurs, ces dépenses, quelqu’un devra bien les payer. Elles devront être portées par la population, via des taxes. D’après l’économiste Gert Peersman, le passage à 2 % du PIB pour les forces armées « est réalisable si chaque ménage belge consent à une contribution supplémentaire de 1000 euros. »¹ C'est aussi de l'argent que ne sera pas investi dans d'autres secteurs qui sont prioritaires comme la lutte contre le réchauffement climatique ou – dans l'objectif d'assurer vraiment la sécurité – dans le ministère des Affaires étrangères et l'aide au développement.

Quelles alternatives aux dépenses militaires préconisez vous pour assurer notre sécurité ?

Christophe Wasinski. Il faut impérativement investir davantage dans la diplomatie et l'aide au développement. Nous devons remettre en œuvre des techniques expérimentés pendant la Guerre froide : le désarmement, le contrôle des armements, la gestion de crise… Des mesures qui visent plutôt à restaurer la confiance entre les États et à calmer le jeu.

Il faut aussi une réflexion sur le rôle du droit international. C'est facile de sortir l'argument du non-respect du droit international seulement quand ça nous arrange – face aux crimes de la Russie – et de fermer les yeux sur ce qui se passe à Gaza. Il y a un deux poids deux mesures. Pour affirmer la sécurité, il faut un monde juste, où tout le monde respecte le droit international.

¹ Olivier Arendt, d’après une interview de Thomas Gadisseux, « Pour Theo Francken (N-VA), la Belgique est fort isolée au sein de l’Otan car nous ne payons pas notre part », RTBF actus, 20 février 2024.