Hillal Sor (MWB-FGTB) « Dans les entreprises qu'il détient, le gouvernement doit refuser les restructurations »

Les métallos de la FGTB (MWB) étaient parmi les chevilles ouvrières pour obtenir l’arrêt des productions non-essentielles dans un très grand nombre d’entreprises. Pour leur secrétaire général, Hillal Sor, cette crise est l’occasion de plaider pour une politique industrielle européenne publique, avec des normes communes pour garantir la qualité de l’emploi et une juste répartition de l’industrie entre les territoires.

Comment s’est organisé le confinement dans les entreprises, avez-vous dû aller au conflit contre les patrons pour protéger les travailleurs ?

Hilllal Sor. En fait, on avait les premiers signaux dès le weekend du 14-15 mars que ce serait impossible de continuer à travailler. Les travailleurs de nombreuses entreprises ont pris leurs responsabilités avant même que le gouvernement ne vote les premiers arrêtés royaux. La prise de conscience a été très rapide. C’était clair que dans un grand nombre d'entreprises, la distanciation sociale ne pouvait pas être respectée. Les travailleurs ne voulaient ni être contaminés, ni être des véhicules du virus. De nombreuses entreprises n’avaient pas du tout pris la mesure de la crise et pensaient qu’on allait continuer à travailler dans les ateliers comme d’habitude, alors que les directions étaient déjà en télétravail.

Ça n’a pas été simple pour nos délégués car dans certains cas les entreprises ont voulu poursuivre la production. Il a fallu en plusieurs endroits faire des arrêts de travail ou menacer de déposer des préavis de grèves pour arrêter la production. Finalement, on a réussi à négocier et obtenir l’arrêt des productions non-essentielles dans un très grand nombre de boites.

Quelles leçons votre syndicat tire-t-il de cette période ?

Hilllal Sor. Dans les entreprises structurées (où une représentation syndicale interne est assurée), les travailleurs se sont tournés directement vers les délégations syndicales. Cela n'a été facile ni pour les travailleurs, ni pour les délégués, mais ils ont pu développer un rapport de force organisé. Par contre, là où il n’y avait pas de représentation syndicale, dans les petites entreprises comme certains sous-traitants, les travailleurs ont regretté cette absence et ont vécu une situation beaucoup plus compliquée. Les employeurs y ont été plus libres d’exercer des pressions et ont pris des mesures bien plus tardivement, soit parce qu’ils s’en fichaient, soit parce qu’ils n’avaient pas le choix à cause de l'arrêt des plus grosses boites. Cette situation appuie une nouvelle fois notre revendication de baisser le seuil de représentation syndicale dans les entreprises en dessous de 50, voire 20 travailleurs.

Comment voyez-vous une reprise respectueuse de la santé des travailleurs et de la population ?

Hilllal Sor. Il y aura un nouveau combat, contre la volonté de beaucoup d’entreprises de retrouver la productivité d’avant crise. La hausse des cadences qu’elles voudront imposer est impossible avec le respect des mesures sanitaires, avec le port obligatoire du masque, avec le stress supplémentaire que subissent les travailleurs, etc. On est dans une guerre entre la sécurité et la santé des travailleurs et la volonté de produire un maximum et de dégager un maximum de revenus. Les entreprises vont devoir s’adapter, mais ce n’est pas sûr que les employeurs et le système capitaliste soient prêts à ça. Il y aura des luttes à mener sur ce front-là. Même si c’est difficile, on reste en contact avec nos délégués pour les soutenir dans ces combats.

Quelles revendications syndicales et politiques pour ne pas que les travailleurs paient la note ?

Hilllal Sor. L’ensemble du monde du travail doit se réunir pour refuser que les travailleurs, qui sont les héros de cette crise, se fassent avoir une deuxième fois. Ils ne doivent pas payer une nouvelle fois cette crise du capitalisme, comme après 2008, par des licenciements, une baisse de la qualité de l’emploi et plus de flexibilité. La crise sanitaire va rapidement devenir économique et sociale et risque d’être très violente. Dans l’automobile et l’aéronautique (comme Boeing ou Airbus), des plans de restructuration sont déjà annoncés et toute la chaine de production (comme les sous-traitants) risque d’en souffrir.

Les gouvernements fédéral et régionaux ont un rôle à jouer. Comme ils ont des participations financières dans des entreprises industrielles, par exemple dans le secteur de l’aéronautique, ils doivent y refuser des restructurations et fermetures.

Cette crise pose aussi la question du système économique dans lequel nous vivons...

Hilllal Sor. Il est clair qu’on ne peut pas laisser le marché décider ce qu’il produit. Cette crise l’a montré : dès qu’ils le peuvent, les industriels ferment des usines et délocalisent la production, des masques par exemple, parce que c’est moins cher de produire dans des conditions sociales et environnementales dégradées. Le marché n’a pas été capable de fournir les biens nécessaires aux hôpitaux, aux maisons de repos, à la protection des travailleurs et de la population.

Cela pose la question de la planification. Il faut une politique industrielle européenne publique avec des normes communes à tous les États pour garantir la qualité de l’emploi. Il faut aussi une juste répartition de l’industrie entre les territoires.

Mais cette politique industrielle est impossible dans le cadre politique actuel. Si on veut un monde différent, ça commence par l’Europe et le refus des politiques et traités d’austérité. Sinon toutes les belles promesses ne seront pas réalisables. Il faut sortir de ces traités pour aller vers une Europe sociale, qui investit dans les services publics, les protections sociales. Une politique industrielle dans le cadre des traités actuels avec une domination du marché qui décide de tout, de ce qu’on produit, combien on produit, comment on le produit, n’a aucun sens. On retombera dans les mêmes travers : privilégier le profit à court terme au détriment des besoins des gens.