Il y a 50 ans, l’annonce de la fermeture de la mine de Zwartberg
Le 22 décembre 1965, l’annonce tombe : la mine de Zwartberg (Limbourg) va fermer, laissant 4 500 travailleurs sans emploi. Le 31 janvier 1966, deux ouvriers s’écroulent : la gendarmerie tire sur les opposants à la fermeture. Retour sur cette page dramatique de notre histoire sociale.
Nous sommes à Waterschei (Genk), ce 31 janvier 1966. Jan Latos, 27 ans, marié, père d’une fille de trois mois, s’écroule. La gendarmerie lui a tiré dessus à deux reprises. Dans le dos. Valeer Sclep, 26 ans, ouvrier chez Ford Genk, reçoit une grenade lacrymogène à la tête. Il décédera quelques minutes plus tard, sur la table de billard du café « Le mineur » après avoir été transporté par des manifestants.
Nous sommes à Waterschei (Genk), ce 31 janvier 1966. Et l’État belge vient de tuer deux ouvriers…
La fermeture du Zwartberg (« montagne noire », en français), ce site minier situé à quelques kilomètres de Winterslag et Waterschei (Genk), est un épisode peu connu. Il faut dire que l’État n’a pas envie de raviver le souvenir de cette lutte sanglante opposant les mineurs (et leurs nombreux soutiens) au patronat et au gouvernement. La preuve la plus éclatante est le sort qu’a subi le reportage du journaliste de la BRT (ancêtre de la VRT) Maurice De Wilde à l’époque. Le reportage (Mijnalarm) a été censuré, interdit, puis reporté. Finalement, un mois plus tard, Mijnalarm (jeu de mots entre « mon » et « mine », « mijn » en néerlandais) est diffusé. Mais « complété » par une interview du vice-Premier ministre, Antoon Spinoy (PSB, ancêtre du PS et du s.pa). Pourquoi cette gêne de l’État ? Flash-back.
Trente glorieuses
Nous sommes en 1965. Le gouvernement belge est composé du PSB et du PSC (ancêtre du cdH et du CD&V). Les Beatles et les Rolling Stones passent en boucle à la radio (et pas sur Radio Nostalgie). Anderlecht est champion de Belgique pour la onzième fois de son histoire. On regarde une seule chaine à la télévision, la RTB, en noir et blanc.
Au niveau économique, on ne parle pas de crise. Nous sommes dans les « Trente glorieuses », cette époque entre 1945 et 1973 (début de la crise économique) qui se caractérise par un chômage très bas et des améliorations de salaires, des conditions de travail… A l’époque, le charbon est prédominant dans l’approvisionnement en énergie (54,3 %). Mais le pétrole et le gaz naturel prennent de plus en plus de place…
Le 22 décembre, la nouvelle tombe : Zwartberg doit fermer. Cette annonce, qui surprend tout le monde sauf l’État et le propriétaire de la mine, va marquer l’histoire sociale belge. Le déclin des mines belges, enclenché dans les années 1950, continue. Mais ne se passera pas exactement comme le patronat et le gouvernement le souhaitent.
« Quand le gouvernement Harmel (PSC) annonça, le 22 décembre 1965, la fermeture de 5 sièges en Wallonie et de la mine du Zwartberg pour le 1er octobre 1966, ce qui impliquait [à Zwartberg] plus de 4 000 pertes d’emplois, la colère monta rapidement. Cette décision apparut d’autant moins compréhensible que, mine à haut rendement, Zwartberg était la seule en 1964 à dégager encore des bénéfices (8 millions de FB) », notait le Centre de recherche et d’information socio-politique (CRISP).1
Pourquoi une mine ferme-t-elle alors qu’elle est en bénéfices ? Le CRISP avance deux hypothèses : « D’une part, les difficultés de commercialisation, entre autres du fait du prix élevé et de difficultés de cokéfaction du charbon gras, ont amené Cockerill-Ougrée, propriétaire de la mine, à diminuer les achats pour sa sidérurgie ; d’autre part, il pouvait s’agir d’une nouvelle compensation pour la fermeture de sièges wallons. »
Mais la fermeture n’est pas politique (et encore moins communautaire, comme aime l’avancer à l’époque le mouvement nationaliste flamand, très présent au Limbourg) mais économique.
Joyeux Noël… et bonne année…
Il n’en reste pas moins que les travailleurs de Zwartberg n’en reviennent pas. Noël 1965 s’annonce difficile pour eux. « Et pour toute la province », note Kris Hertogen, étudiant à l’époque. « Le Limbourg comptait encore 30 000 mineurs en 1965. Et, pour chaque emploi, il faut compter un emploi sous-traitant. Plus d’un dixième de la population limbourgeoise travaillait dans le secteur. Le Limbourg vivait en grande partie au rythme des mines », raconte celui qui deviendra un leader étudiant de différents mouvements à venir, et qui sera, avec d’autres, à la base de la création de ce qui deviendra le PTB.
Mais les travailleurs n’attendent pas les fêtes de fin d’année pour réagir. Dès le lendemain de l’annonce, les mineurs manifestent. Ils veulent marcher à Hasselt, chef-lieu de la province. Sur leurs banderoles noires : « La fermeture est–elle notre cadeau de Noël ? » Lors d’une réunion avec trois ministres venus sur place (Marc-Antoine Pierson, PSB, ministre des Affaires économiques, Léon Servais, PSC, ministre de l’Emploi, et Jos De Saeger, PSC, ministre des Travaux publics), le président de la CSC Limbourg, Marcel Cox, déclare : « Il n’y a aucun plan réel de reconversion. » Jugeant qu’aucune solution n’est apportée par le gouvernement, la délégation syndicale se retire. Fin de la concertation sociale. Le dialogue se fera donc, en grande partie, dans la rue.
Les travailleurs passent les fêtes, mais les repas ont un goût amer et servent surtout à prendre des forces pour les semaines qui arrivent.
Au fond de la mine, pas au fond du trou
Les premières lettres de licenciements sont le déclic de la lutte. Le jeudi 27 janvier, les premiers ouvriers reçoivent le papier tant redouté. Sans la moindre hésitation, celui-ci est déchiré. Les mineurs de la pause de midi (de 14 à 22h), alertés par les ouvriers de surface, décident de rester au fond de la mine à la fin de leur pause. La direction veut les faire remonter avant de faire descendre l’équipe de nuit. Elle propose même à l’équipe de midi de remonter à 19h et de lui payer les trois heures restantes non prestées. Les mineurs savent que c’est un moyen pour casser l’occupation de la mine. L’équipe de nuit rejoint donc ce qui deviendra leur lieu de vie pour quelques jours. Et, quitte à passer le week-end là, autant faire venir le curé au fond de la mine pour la messe dominicale. Oui, le Limbourg est une région ou le catholicisme a beaucoup d’influence.
Le 28 janvier, pas question de baisser la garde. Ceux qui ne sont pas au fond de la mine (ils sont environ 800, à 900 mètres de profondeur) ne voient qu’un moyen pour gagner la bataille : il faut étendre la grève à Winterslag et Waterschei, dans les mines situées à quelques kilomètres de là. La gendarmerie arrive avec du matériel lourd. Tensions devant la porte de la mine.
Les jours qui suivent, cette tension ne fait que monter. Le lendemain, les mineurs de Zwartberg veulent aller à Hasselt pour organiser une collecte de soutien. Le bourgmestre local, Paul Meyers (PSC-CVP), interdit aux mineurs de passer le pont du canal Albert et donc de se rendre dans la ville. Les mineurs, venus en famille pour ce qu’ils pensaient être une journée de solidarité, sont bloqués par la gendarmerie. Qui charge dans le tas. De 15 heures à 19h45, des incidents éclatent entre forces de l’ordre et manifestants. La télévision montre les images. La sympathie pour la lutte des mineurs, déjà bien présente dans la région, augmente encore.
Zwartberg Blues
Venez plus près, mes amis, je vous chante une chanson
D’une province appelée Limbourg
Qui se trouve quelque part en Belgique
Mais qui est souvent oubliée de Bruxelles.
Le Limbourg était pauvre mais renfermait du charbon
Et les hommes ont trouvé du travail dans les mines
Jusqu’au jour où ils ont reçu une lettre de licenciement
Car la mine était condamnée à disparaître.
L’amertume et la colère se sont emparées de la région
Le désespoir dormait sous les toits
On savait que, même si on cherchait partout pendant des jours,
On ne trouverait plus nulle part de travail.
Le désespoir a poussé hommes et femmes dans les rues
Le mineur a exigé ses droits
Et lorsqu’il n’a pas obtenu ce qu’il demandait par les mots
Il a décidé de se battre.
Et les mains encore sales du dur labeur
Les casques sur les visages noirs
Ont défié barrages, gendarmerie, soldats
Tandis que des fusils menaçants se braquaient sur eux.
Le service d’ordre les a dispersés comme des animaux
Très rapidement et sans raison, il y a eu des coups de feu
Le petit peuple a été balayé de la rue
Il ne restait que des blessés et des morts.
Et Bruxelles a donné des explications en chiffres et a demandé
Que le Limbourg comprenne l’affaire
Mais pourquoi a-t-on interdit à la TV
Une enquête basée sur les faits.
Chacun n’est toujours pas égal devant la loi
Que ceci ressorte clairement de cette chanson
Le charbon colorie le mineur en noir
Et il va ainsi ressembler à un Noir.
Traduction de la chanson Zwartberg Blues de Miek et Roel
Fanfare, enfants et gaz lacrymogène
Alors que les occupants de la mine suivent la messe, leurs collègues manifestent à Genk. Des organisations flamingantes et des élus de la Volksunie sont là. Cette présence n’est pas étonnante : « A l’époque, la Volksunie se profilait comme “anti-establishment” et voulait capitaliser sur chaque mouvement de protestation. On a vu ce que ça a donné par la suite mais, à l’époque, la colère des travailleurs ne trouvait pas de relais à gauche de la social-démocratie », explique Kris Hertogen, originaire du coin.
Mais, surtout, les mineurs sont présents. En masse. Et, encore une fois, avec femmes et enfants. Une fanfare précède la manifestation. Les forces de l’ordre n’en ont, encore une fois, pas grand-chose à faire. Alors que des incidents éclatent, des enfants se réfugient dans un magasin pour se mettre à l’abri. La police n’hésite pas à lancer une grenade lacrymogène dans le bâtiment. En parlant de cet épisode le lendemain, Het Volk écrivait : « Quoi qu’il en soit, cette grenade a eu pour conséquence une très grande indignation dans la cité. » Des témoins de la scène rejoignent les manifestants pour se défendre contre la répression policière.
Lundi 31 janvier. 1 000 personnes sont devant la porte de la mine de Zwartberg. Les travailleurs continuent d’étendre leur lutte aux autres sites miniers de la région. Une première manifestation s’organise, de Zwartberg à Winterslag. Premiers incidents avec la gendarmerie. Les mineurs ont coupé le transport du charbon. Les ouvriers de Winterslag arrêtent aussi la production de leur mine et les rejoignent pour aller à Waterschei, avant la pause de midi. La gendarmerie, déjà présente à Winterslag et devinant les plans des mineurs, se rend directement à Waterschei pour attendre les manifestants. Plus de 2 000 personnes se retrouvent devant la porte de la mine. La gendarmerie commence à charger. Elle tire sur les mineurs. De face ou dans le dos. Des manifestants resteront paralysés à vie.
Un mineur, Jan Latos, s’effondre, deux balles dans le dos. Mort.2 En plus des balles, la police utilise des grenades lacrymogènes. Pas seulement pour disperser la foule, mais pour blesser. Et pour tuer. Valeer Sclep, ouvrier chez Ford Genk qui habite dans une des cités toute proches et qui a rejoint le rassemblement après son travail, reçoit une grenade lacrymogène à la tête. Il tombe. Des manifestants se rendent compte de la gravité de sa blessure et l’emmènent en urgence à l’abri dans l’arrière salle du café « le Mineur », où ils déposent la victime sur le billard. Quelques minutes plus tard, comme Jan Latos, son frère de classe, il décède. Sept autres travailleurs (et travailleuses, la brutalité policière ne faisant pas de distinction de sexe) sont grièvement blessés.
Chez les manifestants, la colère se transforme en fureur. L’État envoie toutes les forces de police disponibles et même l’armée pour maitriser la situation. Roger « Pipo » Saeys, mineur à le retraite et qui sera actif dans les mobilisations des années suivantes, s’en souvient : « J’avais 16 ans cet hiver-là. Mon père était gendarme à Malines, un petit gendarme de quartier. Il a été rappelé à Zwartberg. Toutes les forces de police ont été mobilisées. Et l’armée aussi. Alors que Malines se trouve à près de 100 km de là. Mon père a vu la violence de la répression et la colère des mineurs. Quand je lui ai dit que je voulais travailler à la mine de Winterslag, en 1971, il avait très peur que ça recommence. Il avait encore en tête les images de voitures de gendarmerie malmenées par les manifestants. »
La manifestation continue de longues heures. La plupart des participants ignorent le drame. Tant mieux pour les forces de l’ordre…
Avant ces événements, les dirigeants des centrales des mineurs du Limbourg (à l’époque sous forte influence du CVP et PSB) présentent un accord avec la direction, negocié la veille : le report d’un mois des licenciements. Réponse des mineurs : « C’est reporter notre enterrement d’un mois ! »
« Il aura fallu deux morts »
Les conséquences ne se font pas attendre. Le lendemain, un accord est trouvé, assurant que Zwartberg ne pourra fermer que lorsqu’une solution sera trouvée pour les travailleurs. L’accord est historique (voir l’encadré page 59). « Mais il aura fallu deux morts… » Kris Hertogen a du mal à cacher son émotion, même près de 50 ans plus tard. Et sa colère. « J’ai dit à mon père, qui était, par son travail, à la KWB (équivalent néerlandophone des Équipes populaires, NdlR) liée à l’ACW (MOC néerlandophone, une des composantes du CVP) : “Si tu vas encore une fois coller une affiche pour le CVP, je quitte la maison et je n’y remettrai plus jamais les pieds.” Et je l’aurais fait ! Il n’a jamais plus collé d’affiche du CVP. Plus tard, j’ai compris qu’il y avait aussi un désaccord de fond chez lui... » Avant d’enchaîner : « C’est paradoxal, mais ces événements ont servi la classe ouvrière… »
Ce lundi noir va en effet, en plus de populariser la lutte des mineurs de Zwartberg et permettre un accord, conscientiser toute une génération.
Le mercredi 3 février, Jan Latos et Valeer Sclep sont enterrés. Une foule immense les accompagne. A l’époque, les mineurs vivaient avec d’autres travailleurs dans des cités ouvrières. Dans ces cités, tout le monde se connaissait et tous dépendaient les uns des autres. Tuer l’un (ou deux) des leurs, c’était s’attaquer à la cité entière…
L’après-31 janvier
L’annonce des morts au JT de 19 heures est un coup de tonnerre. Dès le lendemain, des manifestations ont lieu dans des écoles d’Hasselt et de Genk. La gendarmerie répond à nouveau violemment.
Si la colère est très forte au Limbourg, elle dépasse les frontières de la province. Des arrêts de travail ont eu lieu dans les grandes entreprises de la région liégeoise et de Charleroi. Les travailleurs de tous les départements de Cockerill-Ougrée ont quitté l’entreprise pour manifester leur indignation et ont défilé dans les rues de Seraing et d’Ougrée. Comme le notait la FGTB liégeoise dans son hebdomadaire, Combat : « Une fois de plus, des travailleurs ont perdu la vie simplement parce qu’ils ne voulaient pas être mis en chômage. Ces tragiques événements se situant dans un contexte politique difficile ont soulevé l’indignation de la classe ouvrière. »3 Malheureusement pour les nationalistes et régionalistes du Nord et du Sud du pays, la classe prime sur la communauté.
« Cette lutte restera historique car elle aboutit pour la première fois dans l’histoire des luttes contre les fermetures à un accord imposé au patronat par les travailleurs et entériné par le gouvernement », constate le Parti communiste belge (PCB), qui interviendra au Parlement un an plus tard pour déposer une proposition de loi inspirée de la lutte de Zwartberg.4 Un futur député du PCB (élu en 1968), Marcel Couteau, ouvrier chez Anglo-Germain (La Louvière), une usine qui fabriquait du matériel roulant pour les chemins de fer, a d’ailleurs organisé en 1966 une heure d’arrêt de travail et une collecte dans l’usine pour soutenir les mineurs de Zwartberg. D’autres organisations communistes sont actives dans la solidarité avec les mineurs du Limbourg.
« Il est à noter que, lors de tous les arrêts de travail, l’accent a été mis non seulement sur les événements du Limbourg, mais aussi sur la situation actuelle tant sur le plan économique que politique ou social, tant les travailleurs ont conscience de leur liaison », écrit Combat.5
« Pas de ma faute si ce mineur avait un crâne fragile »
Pour en revenir au Nord du pays, les étudiants sont particulièrement actifs dans la mobilisation post-31 janvier. Les jours qui suivent, des manifestations organisées par des écoliers limbourgeois ont lieu à Gand et, plus étonnant, à Louvain. « C’était ma première manifestation et j’étais un des co-organisateurs. C’était aussi la première manifestation de solidarité avec les ouvriers dans cette université catholique et plutôt conservatrice. Bien avant les “Walen buiten” de sinistre mémoire. Que nous avions transformé en “Bourgeois buiten”. Mais c’est une autre histoire », glisse Kris Hertogen avec un clin d’œil. « Pour moi, comme pour beaucoup de jeunes, ce fut le déclic de notre engagement politique. Comme les mineurs, nous étions dégoûtés du PSB et du PSC. Alfons Vranckx, ministre de l’Intérieur (PSB) de l’époque, déclarera quelques années plus tard au magazine Humo que ce n’était pas “de sa faute si ce mineur avait un crâne fragile”. Voilà pour les “remords” du gouvernement. La lutte du Zwartberg nous a servi pour la suite, quelques années plus tard. En janvier 1970, nous avons réussi à organiser un comité (“Mijnwerkersmacht”, c’est-à-dire “Force des mineurs”) pour co-diriger une grande grève. Un mouvement qui allait amener une augmentation salariale de 20 % pour les travailleurs. Et nous avons initié un mouvement qui allait se transformer petit à petit en un parti politique, le PTB. » Mais c’est une autre histoire. « Ou plutôt, c’est une suite de l’histoire. »
Que nous apprend cet épisode nous apprend, cinquante ans plus tard ? « La nature de l’État. Et de sa police… », conclut Kris Hertogen. Dont les silences sont parfois l’occasion de méditer.
Nous sommes à Waterschei (Genk) en ce 31 janvier 1966. Et l’État belge vient de tuer deux ouvriers.
Les accords de Zwartberg
Voici un court aperçu de la situation avant la grève
« Le directoire des mines avait établi un plan concernant le déroulement des licenciements. Peu de mesures concrètes avaient été prévues pour la reconversion et le reclassement des mineurs licenciés. Le gouvernement comptait principalement sur le « dynamisme du marché du travail ». (…) Au début, le problème était le suivant : 4 212 personnes devaient être licenciées, dont 3 193 mineurs de fond, 793 mineurs de surface, 189 employés et 36 ingénieurs. Pour les licenciements, on faisait une distinction entre trois catégories : les mineurs, les employés et les ingénieurs. Les deux dernières catégories étaient privilégiées. Les employés recevraient un préavis d’une durée de trois mois à trois ans. Les ingénieurs bénéficieraient d’un préavis d’un an minimum à trois ans maximum. Les mineurs seraient licenciés immédiatement selon un schéma préétabli par le directoire des mines.
(…) Les mines de Winterslag, Eisden et Waterschei engageraient en 1966 et 1967 environ 2 500 mineurs par an. Ces mines n’engageraient pas de travailleurs immigrés tant que des mineurs de fond de Zwartberg ne seraient pas réengagés. Les responsables mettaient aussi l’accent sur la présence de Ford Werke A G et Allegeny-Longdoz à Genk. (…) Les ouvriers licenciés recevraient des indemnisations d’adaptation : les mineurs qui deviendraient chômeurs recevraient pendant les 4 premiers mois 100 % de leur salaire, pendant les 4 mois suivants 80 % et pendant les 4 derniers mois 60 %, et les mineurs qui pourraient être mis au travail recevraient 100 % de leur salaire mensuel pendant un an.
Un accord refusé pendant la grève
Le 30 janvier, le gouvernement, l’organisation des employeurs et les organisations des travailleurs décidaient de prendre les mesures suivantes :
Les licenciements de travailleurs avec un préavis d’un an ou moins seraient reportés d’un mois. C’était la mesure la plus importante de l’accord. Le fait qu’il n’y aurait pas de licenciements avant le 1er mars 1966 était déterminant pour que les syndicats donnent leur accord.
Les licenciements déjà opérés seraient retirés. Les ouvriers concernés pourraient être déplacés à la demande d’autres mines.
Une douzaine de garanties sociales élémentaires moins importantes seraient données : le personnel qui occupait des logements de la mine pouvait garder son logement pendant un an, les moins-valides seraient maintenus au travail le plus longtemps possible. La mine serait de toute façon fermée le 1er octobre 1966. Les mineurs ont rejeté cet accord résolument. Voici les exigences que les mineurs ont formulé le 31 janvier : pas de fermeture, pas de licenciements pendant trois ans, retrait des préavis, garantie de reclassement pour tous les ouvriers, pas d’intervention des syndicats.
Et l’accord définitif, les accords de Zwartberg
Le 1er février, au lendemain des événements tragiques, un accord de protocole qui serait accepté plus tard par toutes les parties est trouvé. Cet accord stipulait que :
La date de fermeture de la mine de Zwartberg serait déterminée en fonction des possibilités de replacement du personnel.
Les modalités de replacement seraient examinées immédiatement et les replacements seraient effectués immédiatement.
La production de charbon serait diminuée en fonction de la diminution de personnel.
Les employés resteraient au travail tant qu’il y aurait une exploitation minière. Cet accord avait une portée nationale.
En théorie, la convention semblait assez favorable mais, d’après plusieurs témoignages, cet accord a été mal appliqué et cela a occasionné beaucoup de souffrance humaine. »
Extraits de De staking van 1970 in het Kempisch steenkoolbekken (La grève de 1970 dans le bassin houiller campinois), Tielens Johan, Iven Johny, Economische hogeschool Diepenbeek (Haute école économique de Diepenbeek (Hasselt)), 1976.
Article publié dans le mensuel Solidaire de décembre 2015. Abonnement.
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