Les images de ce dimanche place de la Bourse à Bruxelles ont choqué. Des « supporters » de foot viennent troubler le rassemblement de citoyens en mémoire des victimes des attentats. Qui sont-ils ? Pourquoi les a-t-on laisser faire ? Le bourgmestre de Bruxelles contrôle-t-il sa police ?
Ils sont arrivés à plus de 400 sur la place de la Bourse de Bruxelles, habillés tout en noir. Ils venaient des noyaux durs de supporters des différents clubs de football du pays. Un tiers étaient des supporters d’Anderlecht, mais tous les autres grands clubs étaient représentés : ceux du Club de Bruges, de Gand, d’Anvers, du Standard, de Charleroi… Une réunion préparatoire entre représentants de ces groupes de supporters (les « Firms », comme ils se nomment) s’était tenue durant la semaine. Ils devaient s’habiller en noir pour dépasser la couleur de chaque club et pour montrer leur deuil. Ils devaient marcher ensemble pour montrer leur unité « au-delà de leurs clubs » contre le terrorisme. Certains ont même évoqué une unité pour montrer qu’on peut « vivre ensemble », contre le racisme.
Le résultat a été tout le contraire. Des dizaines de chemises noires ont piétiné des fleurs de la place de la Bourse, ont agressé des citoyens qui se recueillaient devant le mémorial d’hommage aux victimes des attentats de Bruxelles, ont scandé des slogans contre les immigrés et ont fait des saluts nazis. Ces chemises noires ont fait exactement ce que les terroristes-djihadistes veulent : monter les gens les uns contre les autres, renforcer le racisme et préparer de nouvelles guerres. Au moment même où un large mouvement d’unité contre le terrorisme, la haine et la division se manifeste partout en Belgique, comment une telle manifestation de haine a-t-elle pu se réaliser ?
Des fascistes affirmés en tête de cortège
En premier lieu, beaucoup de ces supporters se définissent comme hooligans. Chez eux, la violence est un mode d’expression habituel. Elle s’exprime généralement entre bandes rivales de supporters de différents clubs. Là, elle s’est affirmée contre des personnes d’origine étrangère et des citoyens se recueillant pour les victimes des attentats de Bruxelles. Le site ResistanceS.be l’affirme preuve à l’appui : l’extrême-droite était au cœur des incidents violents de ce dimanche à la Bourse. Un des principaux activistes des Autonome nationalisten Vlaanderen (ANV), un groupuscule néonazi actif en Flandre, Jeanke Smets, était au cœur des incidents. Un des hooligans, responsable d’un coup de poing violent sur une personne qui manifestait son désaccord sur la présence des hooligans à la Bourse, est un militant de longue date de groupuscules néo-nazis. Le site du « Anti-Fascistisch Front » (AFF) a aussi démontré la présence d’un cadre du Vlaams Belang. Nation, le parti d’extrême-droite francophone a également déclaré avoir « soutenu l’initiative de ces jeunes (sic) ».
Les hooligans se déclarent majoritairement apolitiques et exècrent la récupération. Pourtant, il apparaît qu’une grande partie est bien récupérée politiquement par des groupuscules d’extrême-droite. On retrouve d’ailleurs les Casuals United Belgium, ouvertement lié à l’extrême-droite. En Angleterre, les Casuals United sont également liés à l’English Defence League (EDL, milice d’extrême-droite). La même évolution a été opérée en Allemagne. « À l’automne 2014, en Allemagne, l’organisation Hooligans tegen salafisten a organisé plusieurs manifestations qui ont rassemblé jusqu’à 2 000 à 3 000 personnes, notamment à Cologne, et auxquelles des hooligans belges ont participé. Aujourd’hui, le mouvement est en perte de vitesse car il a été fondu dans Pegida », déclare le spécialiste de l’extrême-droite Manuel Abramovicz.
Est-ce que les hooligans belges vont évoluer vers un mouvement violent d’extrême-droite ?
Certains hooligans entendent poursuivre leur action, sans remise en question et sans prendre leur distance avec l’infiltration de leur mouvement par l’extrême-droite. Eric D., un membre historique du noyau dur des hooligans du « O-side » d’Anderlecht, annonce : « Dimanche, ce n’était rien par rapport à ce qui va venir. » Ils veulent capter la colère que suscitent les attentats terroristes et dénoncer un gouvernement qui n’a jamais été aussi sécuritaire mais qui n’a pas été capable de nous protéger contre ces attentats. Ceux-là font pourtant exactement ce que les terroristes-djihadistes veulent : monter les gens les uns contre les autres, renforcer le racisme et préparer de nouvelles guerres. Mais d’autres supporters se désolidarisent clairement des incidents qui se sont produits : « On s’est fait récupérer par l’extrême-droite ». Le président du groupe de supporters du Standard Ultras Infernos a depuis diffusé un visuel : « Ultras against Isis & Racism ».
L’avenir nous dira si les noyaux durs de supporters des clubs de foot de Belgique vont évoluer vers un mouvement violent d’extrême-droite comme en Angleterre et en Allemagne.
« On était au courant mais on a laissé faire »
Une autre question importante est : comment les autorités ont-elles laissé se dérouler une telle manifestation ? Ils se sont rassemblés à Vilvoorde où des incidents ont déjà été commis. Ils ont pris le train sans être inquiétés le moins du monde. Dès leur arrivée à la gare du Nord, des hooligans ont agressé des commerçants d’origine étrangère, volé et cassé leur commerce. C’était bien avant la Bourse. Les policiers présents ont regardé sans rien faire. Comment ont-ils pu arriver jusqu’à la Bourse où la confrontation était largement prévisible ?
Mayeur contrôle-t-il sa police ?
Plusieurs témoins présents dimanche sur la place de la Bourse ont interpellé des policiers sur leur absence de réaction pour empêcher la marche des hooligans. Leur réponse est inquiétante : « Ils ont aussi le droit de manifester. » Existe-t-il un courant dans la police de la Ville de Bruxelles qui voulait laisser passer la marche des hooligans et faire ainsi contre-poids aux forts messages d’unité contre le terrorisme mais aussi contre la haine et la division qui se manifestaient depuis mercredi à la Bourse ? Les services de police étaient au courant depuis le vendredi 25 mars de l’action planifiée de ces « hooligans ». Le bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur (PS), déclare pourtant ne pas avoir eu connaissance de ces informations essentielles.
Un sale jeu communautaire
Au lieu d’examiner les failles dans sa propre police, Yvan Mayeur accuse le ministre N-VA de l’Intérieur, Jan Jambon, et le bourgmestre sp.a, Hans Bonte, qui n’ont pas pris leur responsabilité. Mayeur communautarise aussi de manière scandaleuse le débat : « La Flandre est venue salir Bruxelles avec ses extrémistes. » Il oublie que les hooligans venaient également de Bruxelles et de Wallonie et que tous les jours des citoyens du Nord comme du Sud du pays se sont rendus au mémorial d'hommage aux victimes des attentats de Bruxelles. Il oublie également qu’il aurait pu réagir plus proactivement, dès les premiers incidents aux alentours de la gare du Nord.
Il est évident que Jan Jambon et Hans Bonte étaient également au courant et ont laissé ces hooligans se rassembler et venir à Bruxelles. Les incidents survenus à la Bourse de Bruxelles tombent bien en réalité, politiquement parlant. Bonte venait de déclarer le jour même à la télévision flamande : « Ce dont nous avons besoin aussi est un “commissaire du gouvernement” qui met de l’ordre dans les affaires à Bruxelles. » Il rejoint la ligne des nationalistes flamands qui utilisent tous les événements pour conforter leur idée qu’il faut « une tutelle sur Bruxelles », qui serait incapable de gérer les problèmes sécuritaires. C’est la suite logique de leur vision de l’avenir du pays : deux communautés qui gèrent Bruxelles ensemble. Et, en passant, ils tentent de faire oublier les fautes commises par le gouvernement fédéral dans la lutte contre l’embrigadement djihadiste et le terrorisme. La solution serait une approche dure pour nettoyer Bruxelles à partir du fédéral. Cela masque les questions sur les dysfonctionnements importants et les manquements commis par les autorités judicaires, de police et de renseignement du pays…
A propos de la manifestation d’extrême-droite du 2 avril à Molenbeek
Un appel a été lancé par un groupuscule d’extrême-droite français, « Génération Identitaire », à manifester le 2 avril à Molenbeek pour « expulser les islamistes ». Même s’il circule dans le milieu hooligans de Belgique, cet appel reste un appel marginal provenant d’un groupe qui n’a aucune implantation en Belgique. Manuel Abramowicz analyse la stratégie de la tension voulue par ce groupuscule : « L’effet d’annonce de l’ “arrivée” de l’extrême droite à Molenbeek vise à provoquer ses habitants et les mouvements antifascistes. C’est l’objectif du groupuscule Génération identitaire pour que la commune garde sa mauvaise réputation de “bastion européen des islamistes” et que des émeutes contre l’extrême droite s’y produisent. Celles-ci pourront alors être exploitées médiatiquement par la droite radicale pour ensuite justifier son existence. »
Ne tombons pas dans cette provocation. Cette manifestation est d’ailleurs interdite. « Le mouvement d’unité contre la terreur, la haine et la division est beaucoup plus fort que les cris de l’extrême-droite », déclarait le président du PTB, Peter Mertens en réaction aux incidents de la Bourse dimanche dernier. « N’oublions pas d’abord ceci : ils sont quelques dizaines à vouloir à tout prix faire la Une des journaux. Ils sont des dizaines de milliers dans le mouvement d’unité contre la terreur, la haine et la division. Faisons grandir ce mouvement. En toute sérénité, dans toute sa diversité et avec toute sa détermination. C’est notre meilleure réponse. »
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