Interview Vandana Shiva | « Le progrès doit être mesuré à l’aune du bien-être de la société »
« Tous les scientifiques ne sont pas nécessairement des activistes », constate Vandana Shiva. Ce qui n’est certainement pas son cas. Elle-même est quelqu’un qui pratique les deux avec conviction. Depuis des décennies, elle se consacre à la protection de la planète et de sa biodiversité, lutte pour les droits des paysans et contre les OGM et le brevetage du vivant.
19 septembre 2015. ManiFiesta, Bredene. Dans la tente réservée aux débats, pleine à craquer, une assemblée captivée écoute pendant une heure et demie une Indienne mondialement réputée pour sa lutte en faveur de la protection de la biodiversité et contre le réchauffement climatique. Son combat lui vaut certes de l’admiration, mais aussi plusieurs puissants ennemis. Pour la multinationale américaine de la biotechnologie Monsanto, elle est probablement l’ennemi public numéro un – l’inverse n’étant pas exclu. Autour d’un thé vert, Solidaire a rencontré Vandana Shiva pour parler de science, des OGM et du courage pour poursuivre la lutte.
Vous êtes une scientifique, mais aussi une activiste. Cela peut-il aller l’un sans l’autre ?
Vandana Shiva. Tous les scientifiques ne sont pas nécessairement des activistes. Pour certains courants, la science doit rester séparée du reste de la société. Mais ce qui m’a, moi, inspirée à faire des études scientifiques, c’est une personnalité comme Albert Einstein, un scientifique qui s’est toujours engagé dans les causes sociales.
La science et l’activisme naissent de la même motivation : chercher la vérité. Et, quand on met sa conscience en mouvement, on fait aussi de l’activisme. Les deux tournent en fait autour de la même chose : vivre honnêtement.
Tous les scientifiques ne partagent pas cette idée.
Vandana Shiva. Non, parce qu’il existe un mur artificiel entre la science et la société. Pourtant, scientifique ou non, on est d’abord et avant tout un être humain.
Et, en tant que scientifique, on a une responsabilité envers la société. Qu’il s’agisse de justice, de paix, de développement durable… quand on a constaté de grandes injustices, il faut s’engager. Les scientifiques qui ne s’engagent pas n’assument pas entièrement leur responsabilité envers la société.
L’envie de faire des sciences m’est venue d’Albert Einstein, et Albert Einstein s’est toujours engagé dans des causes sociales.
Concernant le climat, il y a unanimité parmi les scientifiques : le problème est énorme. Pourtant, on entend encore des voix qui nient ce fait.
Vandana Shiva. Dans le cas du climat, il est tout à fait incontestable que l’industrie des combustibles fossiles (c’est-à-dire extraits du sol, comme le pétrole, le charbon ou le gaz, NdlR) paie des gens pour affirmer qu’il n’y a pas de réchauffement climatique, mais même un refroidissement du climat. Et, pour cela, ils se réfèrent aux temps préhistoriques. Mais il ne s’agit pas des temps préhistoriques ! Il s’agit du genre humain, de notre vie, et de savoir s’il y aura encore une vie possible dans l’avenir. Donc, avancer qu’il faisait plus chaud avant et qu’il y avait une plus forte concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère n’est pas pertinent. Il ne s’agit pas du tout de cela. Nous, êtres humains, avons hérité de la planète dans un certain état. Et le fait est que l’industrie de l’énergie fossile a entraîné l’humanité dans un mode de vie tel que nous sommes en train de pousser la planète au bord du précipice. On peut certes tenter de le nier, mais cela reste un fait.
D’une manière similaire, le monde entier sait bien que les OGM (organismes génétiquement modifiés, NdlR) posent des problèmes au plan de la biosécurité. Il est impossible de nier qu’insérer des gènes d’un certain organisme dans un autre a des conséquences. Et celles-ci doivent être étudiées très sérieusement. Ce n’est pas en niant ce fait que tout va subitement devenir sûr, au contraire, cela amène uniquement l’ignorance et l’insécurité.
Les négationnistes du climat et de la biosécurité des OGM ne travaillent pas de manière indépendante. Ils ne se basent pas sur ce qu’ils ont trouvé eux-mêmes, mais font partie d’une machine de lobbying très bien huilée, mise sur pied par les industries qui sont à l’origine des problèmes. Bref, ces quelques figures marginales qui réfutent les problèmes appartiennent en fait à des groupes de lobbying.
N’y a-t-il pas quand même une différence entre les négationnistes du climat et ceux qui nient le danger des OGM ? Ceux qui contestent le réchauffement de la Terre ne sont quasiment plus pris au sérieux nulle part, alors que les OGM sont souvent considérés comme une chose positive, également parmi les scientifiques.
Vandana Shiva. Il y a une raison à cela. Dans le cas du climat, une équipe d’experts a été constituée en 1988 : le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), rassemblant 2 500 scientifiques du climat. Ces scientifiques provenaient de nombreuses universités différentes et de toutes les parties du monde et il était donc impossible pour l’industrie de l’énergie fossile de les influencer tous les 2 500.
Dans le cas de la manipulation génétique et de l’industrie de la biotechnologie, il n’y a que très peu de scientifiques qui ont étudié l’aspect de la sécurité de manière approfondie. Si, dès le début, il y avait eu une sorte de panel similaire au GIEC pour étudier la biosécurité des OGM, jamais les adeptes des OGM n’auraient pu acquérir tant de pouvoir.
Je ne suis pas contre le progrès mais, pour moi, le progrès, c’est ce qui va aider les gens.
Que dites-vous à ceux qui voient cependant des avantages aux OGM ?
Vandana Shiva. En 1987, je participais à une réunion où les entreprises disaient même littéralement que les OGM permettraient de breveter le vivant et, donc, d’en toucher des royalties. Nourrir le monde n’a jamais été leur but, c’était uniquement une question d’argent. Regardez combien d’agriculteurs ont dû s’endetter pour pouvoir acheter des semences et, ensuite, se sont suicidés parce qu’ils ne pouvaient plus rembourser leurs dettes ! Rien qu’en Inde, cela concerne 300.000 paysans. Les paysans indiens paient chaque année 10 milliards de dollars, les paysans brésiliens, 2,2 milliards. Ce sont des profits énormes et, avec ceux-ci, l’industrie paie de la publicité et de la propagande.
J’ai étudié la révolution verte (les nouvelles techniques agricoles qui ont été introduites en Asie entre 1960 et 1980 et qui, entre autres par le croisement de plantes, ont généré de plus grands rendements, NdlR). De celle-ci, j’ai appris que la monoculture industrielle des OGM doit être surveillée de très près. La révolution verte a été vendue comme un miracle et, pourtant, elle a causé beaucoup de dégâts (comme une pénurie d’eau et des terres moins fertiles, NdlR). C’est pour cela qu’il faut étudier soigneusement la révolution des OGM.
Votre lutte contre les OGM vous a valu la critique d’être opposée au progrès. Quelle est votre réaction à ce reproche ?
Vandana Shiva. Je ne suis pas opposée au progrès, mais je définis le progrès comme ce qui va aider les gens. Je n’ai pas la même définition du progrès que des multinationales comme Monsanto (connue pour ses cultures d’OGM et ses pesticides et désherbants nocifs, NdlR).
Est-ce une forme de progrès que des substances chimiques soient utilisées sur les terres, ou qu’il y ait des cultures d’OGM ? Et si la vie des gens empire parce leur eau est polluée et qu’ils n’ont plus d’eau potable, ou parce que leurs systèmes alimentaires s’écroulent, c’est du progrès, ça ? En Inde, aujourd’hui, un enfant sur deux souffre de la faim. C’est ça, le progrès ?
On ne peut pas mesurer le progrès en termes d’instruments servant à augmenter les bénéfices des entreprises. Le progrès doit être mesuré à l’aune du bien-être de la société.
La science se met de plus en plus au service de l’industrie et des bénéfices des sociétés.
Quel rôle la science peut-elle jouer pour amener cette sorte de progrès ?
Vandana Shiva. L’ère des combustibles fossiles nous a donné une certaine interprétation de la science. Dans le modèle de pensée de l’énergie fossile, la science mécaniste (basée sur les conceptions scientifiques du 18e siècle, NdlR) était l’unique science. Mais entre-temps sont apparues de nouvelles disciplines au sein de la science – comme la théorie des quanta, que j’ai étudiée – qui a établi que des postulats antérieurs étaient faux. Cette nouvelle science a montré que, non, le monde n’est pas une machine. Le monde est un processus vivant et dynamique, dans lequel tout est lié. Les choses ne peuvent pas être dissociées. La science en est donc venue elle-même à des conclusions différentes.
Mais aussi, qui sont les gens qui affirment que la biosécurité n’est pas une science ? Ce sont ceux qui, au niveau génétique, ont une vision mécaniste de la science. Ils refusent de voir que les gènes sont liés les uns aux autres, de voir qu’il y a un lien entre l’organisme et l’environnement… Pour moi, ce n’est pas de la science.
Dans son livre The structure of scientific revolutions, Thomas Kuhn a écrit que la science fonctionne selon des cadres de pensées changeants. Un cadre de pensée détermine quel type de postulat est votre point de départ, ce que vous recherchez et, finalement, aussi ce que vous trouvez. Même les faits sont donc déterminés par le cadre de pensée.
Un autre aspect de la science, c’est qu’elle est de plus en plus au service de l’industrie et du profit des entreprises. La science perd ainsi non seulement son indépendance mais elle renie toute son essence même, parce qu’il ne s’agit plus là de connaissance mais de manipulation de données.
Par exemple, Monsanto savait déjà il y a 25 ans que le glyphosate – l’ingrédient de base du désherbant Round Up – est cancérogène. Ils ont pourtant persisté à le nier. Et lorsque l’OMS (Organisation mondiale de la santé) a dévoilé ce fait, Monsanto a commencé à qualifier l’OMS d’extrémiste.
Le rôle de la science est d’être indépendante, mais elle doit aussi être profondément consciente de son importance pour la société. Dans la science dominante d’aujourd’hui, c’est le contraire qui se passe, surtout dans la biotechnologie. Là, la science est proche des intérêts de l’industrie, et entièrement détachée de la société.
Vous renvoyez vers des modèles de pensée changeants. Pensez-vous que le changement climatique peut être résolu dans un système capitaliste vert ?
Vandana Shiva. Le genre de société qui amène une accumulation de la pollution dans l’atmosphère est le même système qui amène la désertification, le manque d’eau, la crise alimentaire, l’obligation des petits paysans à quitter leur terre, une crise sanitaire... Et, aussi, une crise de la démocratie, parce que les, disons, 5 entreprises qui vendent des semences et des produits chimiques ne laissent pas les gens décider du genre d’agriculture qu’ils veulent avoir. C’est donc un problème où beaucoup d’aspects sont reliés les uns aux autres. Et cela montre que le problème provient du système lui-même. Il doit donc être résolu par un changement de système.
Au niveau de la pensée, cela signifie qu’il faut un nouveau cadre de pensée. Au niveau pratique, nous avons besoin d’un changement de système économique. Et ce changement signifie clairement que nous devons viser plus loin que des solutions technologiques pour réparer un système cassé. Quand un système est cassé, il l’est de plusieurs manières. Il est cassé au niveau démocratique, écologique, social, culturel, au niveau des valeurs... Quand les structures sont cassées, les solutions technologiques n’aident pas.
Science et activisme tournent autour de la même chose : vivre honnêtement.
Toute la théorie capitaliste est basée sur la supposition fausse que le capital est le moteur de tout. La nature et le travail ne sont pas considérés comme un point de vue de départ dans un système de production capitaliste. Il faut un changement radical, aussi bien au niveau de notre façon de penser qu’au niveau de l’organisation de notre système de production et de consommation. Sans cela, nous sommes en bonne voie vers la disparition de l’espèce humaine. Ou bien parce que nous avons détruit le potentiel de la planète à entretenir la vie, ou bien parce que nous avons détruit le potentiel de la société à s’entretenir elle-même.
Pour moi, la Syrie, Boko Haram, les affrontements raciaux aux Etats-Unis sont la conséquence de l’effondrement de la capacité du système social à maintenir une société équitable et pacifique. De toute façon, nous avons atteint un point critique pour la survie de l’espèce humaine.
Certains viennent dire : « Voyez, nous avons des OGM ! ». Oui... Saviez-vous que Monsanto était impliqué dans la guerre en Irak ?
De quelle façon ?
Vandana Shiva. Quand les Américains ont envahi le pays, un des premiers règlements qu’ils ont imposé, l’« Iraqi Order 81 », interdisait aux paysans d’utiliser leurs propres graines et les obligeait à acheter les graines de Monsanto. Et savez-vous ce que signifie Abu Ghraib, le nom de la fameuse prison en Irak ? C’était le nom de la meilleure sorte de blé d’Irak.
Nous avons besoin d’un autre système économique, dites-vous. Mais pouvons-nous utiliser les instruments d’aujourd’hui pour construire une société alternative ?
Vandana Shiva. Si vous voulez construire une société écologique, alors il faut aussi des sciences écologiques. Vous ne pouvez pas construire une société équitable avec des instruments scientifiques développés uniquement pour piller la nature. Concrètement, vous ne pouvez pas utiliser des graines génétiquement modifiées parce qu’on supprime des gènes dans la nature, qui vont contaminer la nature et la biodiversité. Et abandonner les paysans avec des dettes.
En Inde, nous avons effectué des recherches sur l’impact des OGM sur les organismes du sol. Quatre ans après l’introduction de coton génétiquement modifié, on constatait une perte de 24% d’organismes utiles (insectes, araignées..., qui favorisent la croissance des plantes, NdlR). Entre-temps, la perte s’élève à 70%. C’est de la destruction de la nature.
Quand les paysans et les scientifiques collaborent avec la nature, ils peuvent obtenir des semences résistantes au changement climatique et plus nourrissantes.
Comment pouvons-nous faire de l’agriculture autrement ?
Vandana Shiva. Les paysans et les scientifiques doivent collaborer avec la nature. Cette collaboration va nous apporter des graines qui supporteront mieux le changement climatique et qui nous permettront aussi de produire des aliments plus nourrissants. C’est ce que nous faisons en Inde avec notre réseau Navdanya (un mouvement que Vandana Shiva a créé en Inde pour protéger des semences indigènes, NdlR). Et le résultat est évident : les semences indigènes développées par les paysans et les scientifiques sont plus nourrissantes et plus résistantes aux changements climatiques. Nous avons dû affronter des inondations et des sécheresses, et ces graines ont mieux résisté que les graines génétiquement modifiées. Dès qu’il pleuvait un peu plus que d’habitude, les OGM sont morts. Des entreprises de biotechnologie vendent leurs semences en affirmant qu’elles sont plus productives mais, dans un climat instable, la récolte est à peu près nulle.
Vous appelez à aller manifester fin novembre à Paris à l’occasion du sommet sur le climat. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
Vandana Shiva. Nous devons être attentifs au fait que le sommet pour le climat ne favorise pas à nouveau des solutions fausses, comme lorsqu’on a introduit le commerce des droits d’émissions. De la même façon, une grande partie du contrôle de l’agriculture a été cédée à Monsanto, et des brevets ont été pris pour des graines volées, comme c’est arrivé avec du blé résistant au climat. Nous devons nous opposer à ces injustices.
Ici, à ManiFiesta, nous mobilisons pour la marche pour le climat. Pensez-vous que cela aura un impact sur le cours des choses s’il y a beaucoup de monde dans les rues ?
Vandana Shiva. Une mobilisation à grande échelle va de toute façon influencer les gens. Après, ils se sentent changés, car ils sont passés de personnes impuissantes à des personnes qui ont la force de faire bouger les choses. Le fait que 10 000 personnes de Belgique veuillent faire cela ensemble constitue déjà un changement, parce que 10 000 personnes qui se réunissent, ça va faire une différence.
Quand tant de gens se mobilisent, ce n’est pas pour se reposer dans leur fauteuil une fois rentrés de Paris. Ils vont continuer à défier le pouvoir.
Mais l’effet sur les négociations elles-mêmes.....
Vandana Shiva. Oubliez ces négociations. Même la science n’a pas d’influence sur celles-ci. La démocratie n’a pas d’influence. La conscience n’a pas d’influence, même si le président français Hollande a qualifié l’événement de « sommet de la conscience ». Seules les entreprises influenceront les négociations. Et les entreprises recherchent deux choses : elles tentent de fuir leurs responsabilités, et elles essaient de profiter de la crise climatique pour réaliser de nouvelles affaires. Voilà le moteur des négociations, et voilà la raison pour laquelle les gens doivent dire : « Nous n’acceptons plus ces choses insensées. Arrêtez de gaspiller l’argent de nos impôts. »
Oubliez les négociations sur le climat. Même la science et la démocratie n’ont aucune influence en ce domaine.
Vous dites : arrêtez ces sommets pour le climat. Mais quelle est l’alternative ?
Vandana Shiva. Des systèmes nationaux. Après le sommet à Copenhague en 2009, on a redonné aux Etats le pouvoir de décider en ce domaine. En préambule à ce sommet, le président Obama est allé en visite dans plusieurs pays pour plaider que ceux-ci n’acceptent pas d’accord contraignant concernant le climat à Copenhague. Ils devaient uniquement accepter des efforts librement consentis, et c’est ce qui s’est passé. Donc, oui, en tant qu’activistes nous devons viser des efforts nationaux.
Les gens doivent agir localement, faire en sorte que les gouvernements rendent des comptes. Mais ils doivent aussi prendre position au niveau mondial, au niveau de notre citoyenneté du monde. Qu’il s’agisse de crises, de systèmes antidémocratiques ou de l’homme qui perd le contact avec la nature, seule notre citoyenneté du monde nous donnera la force et l’imagination pour réaliser des changements. Je pense que l’homme doit montrer davantage de courage. Le genre de courage dont ont fait preuve Gandhi ou Martin Luther King. Le courage qui provient de la conscience de notre implication dans ces problèmes et de notre foi dans le fait qu’il existe une alternative.
D’où proviennent votre énergie et votre courage?
Vandana Shiva. Mon courage prend sa source dans un amour très profond pour notre planète, pour les gens et pour les communautés dont je suis issue, pour ma famille et mes proches. En toutes circonstances c’est l’amour qui m’incite à aller le plus loin possible. C’est cela le courage : ne pas douter. Parce que les enjeux sont énormes.
Ce qui anime mon cœur et ma tête, c’est la beauté de la planète.
Vous êtes régulièrement la cible de fortes critiques. Vous êtes aussi personnellement remise en cause.
Vandana Shiva. Oh oui ! (Rire). Quand j’ai fait le choix de consacrer ma vie à la protection de la terre et de servir la communauté, je savais que cela irait de pair. J’ai lutté contre une exploitation d’argile qui a détruit toute une vallée. Pensez-vous que les ouvriers qui y travaillaient ont aimé cela ? Non. Ils m’ont même menacée. Pensez-vous que les gens qui construisent des barrages m’aiment bien ? Non. Pensez-vous que Monsanto m’aime bien, ou les lobbyistes qui travaillent pour Monsanto ? Non. Vous savez, de leur point de vue, ils font ce qu’ils doivent faire. Je suis en relation avec eux, mais je ne me laisse pas influencer par eux. Ce que j’entends ne laisse pas de traces dans mon cœur et dans ma tête. Ce qui anime mon cœur et ma tête, c’est la beauté de la planète. La beauté de la vie, la beauté de la liberté.
Vous êtes activiste depuis de très nombreuses années. De quelle façon avez-vous vu changer le monde ? En bien ou en mal ?
Vandana Shiva. Quand j’ai commencé à militer il y a quarante-trois ans, nous avons réussi à mettre fin à la déforestation d’une région montagneuse. Après cela, le ministre de l’Environnement m’a demandé de réaliser une étude sur l’exploitation minière. L’étude que nous avons réalisée a été la base d’une affaire devant une haute cour de justice. Le gouvernement a même utilisé notre étude comme pièce à conviction dans cette affaire de justice. Nous avons donc été écoutés. Mais cela, c’est terminé maintenant. Aujourd’hui, les activistes de Greenpeace sont expulsés d’Inde. A l’époque, nous avons été traités comme des héros, nous avons dû nous battre pour notre affaire mais nous avons pu influencer la gestion gouvernementale parce que les puissances économiques n’étaient pas encore trop grandes. Les entreprises avaient encore une taille raisonnable. Elles n’étaient pas encore capables d’acheter un gouvernement. Elles ne dictaient pas encore les règles de l’OMC. Voilà le grand changement.
Article publié dans le mensuel Solidaire de novembre 2015. Abonnement.
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