Le capitalisme ou l’échec de la prévention des incendies à Los Angeles et de la lutte contre le changement climatique

Désinvestissement dans les services publics de secours, privatisation de lʼeau, recours à de la main dʼoeuvre issue des… prisons, négation des causes du changement climatique... La gestion des incendies qui ravagent une partie de la Californie est révélatrice de la lutte des classes qui se joue aux États-Unis. Analyse du média alternatif américain Peopleʼs World.

(Article publié le 10 janvier sur Peopleʼs World)

Des centaines de pompiers et de volontaires font tout leur possible pour arrêter la propagation du feu. Ils sont confrontés à des vents de la force d’un ouragan qui répandent les braises et à un hiver exceptionnellement sec. Pas moins de 130 000 personnes ont reçu un ordre d’évacuation et se demandent si leur maison sera toujours là quand les flammes seront éteintes.

La hausse des températures et la diminution des précipitations, toutes deux liées au changement climatique, font que la saison des feux de forêt en Californie commence plus tôt et se termine plus tard. Les pluies qui mettent généralement fin à la saison des incendies arrivent plus tard. Résultat : les feux se poursuivent pendant les mois d’hiver. Les vents violents de Santa Ana et la menace d’incendie qui pèse sur les installations électriques ont privé d’électricité plus de 450 000 habitants.

Il est clair que la crise climatique s’aggrave à un rythme alarmant. Les phénomènes météorologiques extrêmes, les sécheresses prolongées, les immenses feux de forêt, les ouragans intenses et la fonte rapide du permafrost et des glaciers sont de plus en plus fréquents. Les conséquences dépassent les prévisions faites il y a seulement quelques années.

Le capitalisme en cause

Le changement climatique est la preuve manifeste du déséquilibre toujours plus grand entre l’humanité et la nature. Les problèmes environnementaux sont nombreux et comprennent notamment la contamination de l’eau, de l’air et du sol, ainsi que des problèmes de santé affectant les systèmes respiratoires et reproductifs. Les menaces persistantes telles que l’élévation du niveau de la mer, les phénomènes météorologiques plus fréquents et plus destructeurs, et l’augmentation des sécheresses semblent se profiler sans fin.

Tout au long de leur histoire, les États-Unis ont contribué beaucoup plus que tout autre pays aux émissions mondiales, notamment par le biais de l’armée, le plus grand émetteur de gaz à effet de serre. Les géants américains des combustibles fossiles savent depuis au moins 50 ans que l’issue de l’extraction intensive est une catastrophe climatique, mais ils ont choisi de minimiser et de déformer les preuves du changement climatique.

Ils ont mené une campagne de longue haleine contre les actions pour le climat, en recourant à de fausses données scientifiques, en harcelant les scientifiques et en semant le « doute » contre le consensus scientifique, via les médias et les politiciens.

Si une chose est sûre aujourd’hui, c’est que le capitalisme, en tant que système qui donne la priorité aux profits à court terme et à l’accumulation privée, n’est pas équipé pour prévenir les événements météorologiques extrêmes ou y faire face de manière adéquate.

La liste n’est pas exhaustive, mais voici quelques exemples qui montrent, avec les incendies ravageurs de la région de Los Angeles, comment le capitalisme affaiblit et néglige les gens et notre environnement, au service de la maximisation des profits.

Les milliardaires pillent l’approvisionnement public en eau

Alors que les incendies apocalyptiques battaient leur plein, environ 20 % des bouches d’incendie étaient à sec et l’accès à l’eau était rare. Janisse Quiñones, responsable du département de l’eau et de l’électricité de Los Angeles, a déclaré que plus de onze millions de litres d’eau étaient disponibles lorsque l’incendie s’est déclaré, mais que la demande était quatre fois plus importante que « ce que nous avions jamais vu dans le système » en raison de l’ampleur des incendies. Les réserves d’eau n’étaient tout simplement pas suffisantes pour faire face à l’ampleur de la catastrophe.

Une illustration de la cupidité capitaliste et de la propriété privée d’une ressource publique importante, l’eau, montre comment le capitalisme donne la priorité à l’accumulation privée plutôt qu’aux besoins humains, même en temps de crise. Au lieu d’assurer un approvisionnement suffisant dans l’intérêt du public, la recherche du profit l’emporte sur tout. Les résultats sont désastreux pour la population.

Un couple de milliardaires, Stewart et Lynda Resnick, possède une part importante du réseau de distribution de l’eau en Californie, un réseau qui a été largement financé par le public. Les Resnick sont les plus grands propriétaires agricoles de Californie. Ils possèdent 50 000 hectares de terres agricoles dans l’État, et près de la moitié des citoyens américains consomment au moins un de leurs produits.

Détenteurs d’un patrimoine d’au moins 8 milliards de dollars, les Resnick engrangent actuellement des sommes colossales avec l’envolée du prix de l’eau en Californie. Leur méga-entreprise, Wonderful (« magnifique » en VF, quelle ironie), contrôle 57 % de la Kern Water Bank, la ressource en eau la plus précieuse d’une région si essentielle à l’approvisionnement en aliments frais des États-Unis.

Dans la Central Valley, où les Resnick ont stocké l’eau sous terre, les communautés ouvrières, souvent composées de travailleurs agricoles migrants et d’immigrés, n’ont pas accès à l’eau publique. Char Miller, directeur de l’analyse environnementale au Pomona College, a déclaré dans le magazine Forbes : « Les Resnicks dominent tout, et les communautés, privées de tout pouvoir, se retrouvent à l’autre bout d’une échelle qui penche complètement en leur défaveur. Lorsque nous mettons la nourriture dans notre assiette, nous pensons rarement aux mains qui l’ont produite et à la situation dans laquelle elles se trouvent. C’est une injustice d’une ampleur inégalée. »

Au Texas, une autre région frappée par la sécheresse et où l’accès à l’eau est limité, le multimilliardaire Elon Musk a presque terminé la construction d’une raffinerie de lithium pour sa société Tesla. Cette installation nécessitera jusqu’à trente millions de litres d’eau par jour. Elle sera située à une trentaine de kilomètres de Corpus Christi, une région si aride que la compagnie des eaux locale distribue des minuteurs de douche lors des matchs de football américain dans les lycées.

La petite ville du Texas tire la sonnette d’alarme à propos du projet. Les habitants s’inquiètent de la disponibilité de l’eau pour leurs propres besoins et ceux d’une grande usine. Fait particulièrement inquiétant, la South Texas Water Authority a récemment approuvé un accord d’infrastructure qui permettra à Nueces Water Supply de vendre à Tesla les droits de conduite d’eau nécessaires.

En cas de sécheresse ou d’incendies endémiques, qui augmentent tous deux à cause du changement climatique, la propriété privée de ce qui devraient être des ressources publiques, comme les réserves d’eau douce, est synonyme de plus de catastrophes. Au lieu de répartir l’eau de manière appropriée, notamment en conservant un surplus en cas d’incendies plus importants et plus dangereux ou de sécheresses croissantes, le capitalisme donne la priorité à la propriété et à l’accumulation des réserves d’eau à des fins de profit privé.

Si l’on ne connaît pas encore l’impact global de la privatisation de l’approvisionnement en eau sur les incendies dans le comté de Los Angeles, on sait avec certitude que la recherche du profit et la privatisation d’un approvisionnement en eau qui était autrefois public en Californie ne sont d’aucune aide.

Los Angeles réduit le budget des sapeurs-pompiers

En juin de l’année dernière, la maire de Los Angeles, Karen Bass, a approuvé un budget qui a considérablement réduit le financement du service d’incendie, à hauteur de 17,5 millions de dollars. Il s’agit de la deuxième réduction la plus importante du budget de la ville. Alors que la majorité des services de la ville ont dû faire face à des coupes budgétaires, le service de police de Los Angeles a bénéficié d’une augmentation substantielle de son financement, de près de 126 millions de dollars.

« La suppression systématique de programmes des services de la ville pour donner des milliards de dollars par an à la police de Los Angeles a des conséquences. Ces élus ont du sang sur les mains », a déclaré Ricci Sergienko, avocat et organisateur du People’s City Council LA, au magazine d’investigation en ligne The Intercept. « La ville n’est pas préparée à gérer cet incendie. Los Angeles ne devrait pas être dans cette situation. »

Les coupes dans les services d’incendie et autres services publics essentiels, pour en parallèle augmenter le budget des services de police, créent une situation dangereuse, d’autant plus que la crise climatique aggrave les incendies déjà dévastateurs dans cette région frappée par la sécheresse.

La chef du département des pompiers de Los Angeles, Kristin Crowley, a déclaré que les réductions de leur budget de fonctionnement ont « affecté négativement la capacité du département à maintenir ses opérations de base, comme l’infrastructure technologique et de communication, le traitement des salaires, la formation, la prévention des incendies et l’éducation de la communauté ».

Pompiers sous-payés et sous-financés

Autre condamnation du système capitaliste et d’un gouvernement qui fonctionne avant tout dans l’intérêt des riches, des milliers de pompiers fédéraux sont continuellement menacés d’une baisse de salaire de 20 000 dollars, la prochaine possibilité pour cette baisse étant prévue en mars de cette année.

Les pompiers fédéraux se battent depuis des années pour obtenir des augmentations de salaire permanentes pour un travail souvent dangereux, mais essentiel, pour lequel certains ne gagnent que 15 dollars de l’heure. Conformément à la loi sur les infrastructures de l’administration Biden, 11 200 pompiers fédéraux ont bénéficié d’une augmentation de salaire de 20 000 dollars ou 50 % de leur salaire de base en 2021. Toutefois, en raison du lobbying des entreprises et du blocage des républicains, les augmentations de salaire n’ont pas été rendues permanentes par le Congrès.

« Nous perdrons tout le monde si le Congrès ne rend pas les augmentations permanentes et si les salaires des pompiers chutent de 20 000 dollars », explique Steve Gutierrez, pompier depuis 15 ans et représentant syndical de la Fédération nationale des employés fédéraux. « Ces travailleurs méritent un salaire décent. L’avenir s’annonce difficile. »

Il a également déclaré à More Perfect Union : « Il y a plein de camions de pompiers qui restent là à prendre la poussière cet été et il n’y a personne pour les opérer. »

Par ailleurs, de nombreux pompiers fédéraux ne sont même pas considérés comme des pompiers. Selon Grassroots Wildland Firefighters, les pompiers classifiés comme Hotshots, Smokejumpers, Rappellers, Helitack Crews, Fire Engine Crews et autres sont en fait des « techniciens forestiers », ce qui entraîne des erreurs de classification et des salaires inférieurs à ceux des pompiers de l’État.

Pour ne rien arranger, le président Donald Trump n’est pas un ami des pompiers ni de leurs syndicats. Au cours de son premier mandat, il a accusé le service forestier d’être à l’origine des feux de forêt à cause de sa « mauvaise gestion ». En 2018, il avait notamment suggéré à la Californie de « mieux ratisser les feuilles ».

Les républicains sont la principale raison pour laquelle les augmentations salariales n’ont pas été rendues permanentes depuis l’adoption de la loi de 2021, mais s’appuient sur des résolutions à chaque fois qu’ils menacent de paralyser l’administration.

Le futur sénateur élu du Montana, Tim Sheehy, un républicain radical qui a été PDG d’une société de lutte aérienne contre les incendies, illustre bien la tendance du capitalisme à privilégier l’accumulation privée de profits au détriment des services publics. Dans une tribune publiée sur Fox, il a écrit que « le secteur privé a toujours produit et produira toujours des innovations et de meilleurs résultats que le gouvernement, plus rapidement et à moindre coût... Il en est de même pour la lutte contre les feux de forêt. Nous devons embrasser cette vérité ».

Des détenus pour lutter contre les incendies

Près de 400 détenus ont été déployés par l’administration pénitentiaire californienne pour contenir les incendies en cours.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les détenus en Californie peuvent participer à un programme appelé Conservation Camp Program, où ils vivent dans des « fire camps » et sont encadrés par le personnel du département californien des forêts et de la protection contre les incendies (CAL FIRE). Le programme permet à CAL FIRE d’économiser environ 80 millions de dollars par an.

Au départ, les détenus doivent remplir des critères de sécurité et participer à une session de formation de deux semaines. Ils reçoivent un salaire journalier de 5 à 10 dollars en fonction de l’échelle des salaires, et peuvent gagner davantage lorsqu’ils combattent des incendies. Ils représentent environ un tiers des pompiers de Californie. La dépendance de l’État vis-à-vis de la « main-d’œuvre rentable » que représentent les détenus a amené les militants de la réforme pénitentiaire à s’inquiéter des retards dans l’adoption des réformes nécessaires du système de justice pénale.

Matthew Hahn, ancien pompier et électricien syndiqué, explique pourquoi les détenus sont si enthousiastes à l’idée de participer au programme.

« Il y a du vrai dans les objections » contre l’utilisation de détenus pour lutter contre les incendies, a-t-il écrit dans une tribune. Cela constitue un abus. Mais « la réalité de la raison pour laquelle des personnes accepte de risquer leur vie ou leurs membres pour un État qui les enferme, c’est que les conditions de vie dans les prisons californiennes sont si délétères que lutter contre les incendies de forêt est un choix rationnel ».

Cependant, au moins quatre détenus en Californie sont morts dans l’exercice de leur fonction ces dernières années, alors que les incendies de l’État sont devenus plus agressifs et plus meurtriers en raison du changement climatique. Il s’agit d’un travail dangereux, et la formation minimale et l’absence de bons salaires et de bonnes conditions de travail le rendent encore plus difficile.

Les détenus sont quatre fois plus susceptibles d’être blessés par des objets que les autres pompiers et huit fois plus susceptibles de souffrir de blessures liées à l’inhalation de fumée. Lorsqu’ils sont blessés, ils ne bénéficient pas de l’indemnisation traditionnelle des accidents du travail. Nombre d’entre eux se retrouvent donc avec des problèmes de santé et des complications à vie.

Pire encore, à leur sortie de prison, ils n’ont pas le droit d’obtenir une licence de technicien médical d’urgence, pourtant requise par la plupart des services d’incendie en Californie. Et ce, même après avoir suivi un minimum d’une semaine de formation en classe, une semaine de formation sur le terrain et quatre heures de formation poussée par semaine dans le cadre du Conservation Camp Program.

Le climat est une lutte des classes

Les travailleurs continuent d’être confrontés à la détérioration de l’environnement sur leur lieu de travail et dans leur communauté à cause de la soif de profit des entreprises et du changement climatique. De nombreux travailleurs de diverses industries sont exposés à des produits chimiques toxiques, à une mauvaise ventilation, et à des accidents environnementaux pendant leur travail. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles les travailleurs de BOSK, une entreprise spécialisée dans la production de batteries dans le Kentucky, s’organisent avec le syndicat United Auto Workers.

Les quartiers ouvriers sont souvent utilisés comme décharges pour les déchets industriels, et accéder à l’eau devient de plus en plus difficile, notamment à cause de la privatisation de l’approvisionnement par les entreprises. Le coût de la résolution des catastrophes environnementales retombe presque toujours sur les travailleurs et leurs communautés, car les entreprises qui en sont à l’origine échappent à leurs responsabilités grâce au lobbying et aux failles juridiques.

Les classes populaires confrontées à des entreprises puissantes qui déversent des déchets toxiques dans leurs sources d’eau potable, ou qui les privatisent complètement pour en tirer profit, se confrontent nécessairement directement au capitalisme. Dans leurs luttes, elles se heurtent à la fois au système capitaliste et aux politiciens influencés par le lobbying des entreprises.

Le capitalisme est à la fois la cause principale des problèmes climatiques urgents auxquels l’humanité est confrontée et le plus grand obstacle face à leur résolution. Il constitue une entrave à la mise en place d’un environnement propre, durable et sain où les travailleurs et la population de manière générale peuvent directement récolter les fruits de la nature et de leur travail. La propriété privée et l’accumulation de vastes quantités de richesses et de ressources sont tout simplement incompatibles avec la durabilité environnementale.

Même les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat ne suffisent pas à stopper l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et à lutter efficacement contre le changement climatique. Ce qu’il faut, c’est une restructuration radicale de notre industrie, de notre agriculture, de la distribution et de notre système juridique pour relever les défis majeurs qui touchent l’humanité toute entière.

Les luttes pour le climat, telles que celle menée pour combattre les incendies dévastateurs qui frappent actuellement Los Angeles, sont en conflit avec le modèle capitaliste actuel de la propriété privée et de la recherche du profit. Des millions de personnes prennent conscience que notre santé et notre bien-être collectifs sont en opposition directe avec la classe des milliardaires et leur avidité.

Pour relever les défis posés par la multiplication des catastrophes liées au changement climatique, il faut prendre des décisions sociales fondées sur les besoins de la société dans son ensemble et de l’environnement dont nous dépendons. Le capitalisme est incompatible avec cela et doit être aboli.