« Nous prenons soin de nos patients, et nous prenons aussi soin les uns des autres, avec tout notre cœur » | Coronavirus, des nouvelles du front (10)

Les infirmiers et infirmières de Médecine pour le peuple à Zelzate sont aujourd'hui investis d’une importante mission sociale. Pour beaucoup de gens, ils représentent l’ultime main tendue. Sofie De Pauw évoque leur double tâche en tant qu’être humain et intervenant.

Lorsque le COVID-19 a soudain fait irruption, notre équipe soignante a initialement éprouvé un sentiment de culpabilité envers nos collègues infirmiers en première ligne dans les hôpitaux. Heureusement, nous avons assez rapidement pu nous libérer de ce sentiment, du reste infondé. En effet, il est vite apparu que nous jouions nous aussi un rôle important sur cette ligne de front avec laquelle nous n'étions pas vraiment familiarisés, un rôle social aussi bien que sociétal.

En faisant preuve de créativité et en mettant encore plus l’accent sur l’organisation, nous avons pu opérer une redistribution de nos services. Les soins non urgents et de confort sont provisoirement reportés, les patients à risque qui auparavant se présentaient au cabinet reçoivent temporairement des soins à domicile. Une mesure pour nous protéger autant que possible nous-mêmes et nos patients.

Une oreille attentive

Nous avons pu observer en même temps une sorte de point de bascule chez nos patients. Nous faisons, désormais, davantage office de filet de sécurité. La vie sociale est confinée et la solitude se fait d’autant plus palpable. Dans bien des cas, nous sommes les derniers à encore rendre visite aux gens à domicile. Aujourd'hui, plus que jamais, il est indispensable de pouvoir compter sur une oreille compatissante et d'avoir quelqu'un avec qui faire un brin de causette.

À la situation déjà critique viennent s’ajouter les médias et leur flot de reportages terrifiants et anxiogènes. Dans le cadre du double rôle dont nous sommes investis en tant qu’infirmier ou infirmière - celui d’être humain et de professionnel doté d’une formation médicale - nous nous efforçons de rassurer les gens. Ce qui alourdit quelque peu notre tâche d’un point de vue psychologique. D'autre part, il s’agit aussi pour nous de continuer à regarder la réalité en face et d’attirer leur attention sur le fait que le risque de contagion est réel pour tout le monde et que suivre les directives du gouvernement est et reste d'une grande importance.

Quant aux personnes à risque plus actives, nous constatons que le fait qu’elles continuent à faire leurs propres courses reste un obstacle majeur. Il s’agit souvent de l’unique moment de contact que ces personnes entretiennent encore avec le monde extérieur. Nous essayons autant que possible de les convaincre de faire appel à un/une aidant(e). Pour les personnes vulnérables de plus de 70 ans qui n'ont pas d'aidant proche, l'initiative communale « Service de livraison d'épicerie à domicile » est une aide bienvenue. Pour les patients qui n'ont pas de téléphone ou qui ont des difficultés à passer un appel téléphonique, nous veillons régulièrement à ce que les produits alimentaires ou les médicaments de la pharmacie leur parviennent.

Solutions inventives et solidarité

Dans la pratique, une partie du temps de consultation est désormais consacrée à donner un coup de main à l’équipe qui passe les appels téléphoniques aux personnes de plus de 70 ans. Nous leur offrons une oreille attentive et leur posons des questions concernant le suivi des directives, la santé physique et le bien-être mental. Le cas échéant, nous faisons intervenir un médecin ou un psychologue et leur demandons si nous pouvons leur venir en aide pour des questions pratiques telles que les courses et les repas chauds. Un deuxième groupe de patients que nous appelons sont ceux que les médecins ont diagnostiqués, à l’issue d’une consultation téléphonique, comme étant possiblement infectés. Nous les appelons une deuxième fois 3 ou 4 jours plus tard pour leur demander si les symptômes se sont aggravés ou si, au contraire, ils ont pratiquement disparu. Nous nous informons également de leur situation financière et professionnelle. Il arrive parfois que nous soyons confrontés à des réalités insoutenables face auxquelles nous sommes impuissants. Dans ces cas, tout ce que nous pouvons faire est de leur prêter une oreille compatissante et de prendre note de leur témoignage.

Jusqu’à présent, Zelzate affiche officiellement le taux le plus faible d'infections au COVID-19 par habitant. Nous sommes, néanmoins, parés au pire. Nous organisons chaque jour des briefings et suivons des lignes directrices bien précises. En ce qui concerne l'équipement de protection, nous tâchons de nous débrouiller avec les moyens du bord. Et ces moyens, nous les renforçons grâce à des solutions inventives et grâce aussi à la solidarité avec, entre autres, les services infirmiers externes. Le fait que notre équipe de soignants soit si diversifiée nous permet aussi de continuer à prendre soin les uns des autres. Ensemble, nous prenons soin de nos patients et nous prenons aussi soin les uns des autres, avec tout notre cœur.

Sofie De Pauw, infirmière