Quels sont les projets d’ArcelorMittal en Europe ?

ArcelorMittal suspend ses investissements dans l’acier vert en Europe. Le géant de l’acier explique que les prix de l’énergie sont trop élevés, que la demande d’acier vert est trop limitée et que la concurrence chinoise est trop forte. L’entreprise exige des mesures de défense commerciale. Mais celles-ci ne sauveront pas l’industrie sidérurgique européenne. Dʼautres solutions sont pourtant possibles.

La production d’acier avec du charbon dans les hauts fourneaux entraîne d’énormes émissions de carbone. ArcelorMittal Gent est responsable de 8 % des émissions en Belgique. Pour produire de l’acier vert, les hauts fourneaux doivent être remplacés par une installation DRI (réduction directe de fer ou de fer spongieux) et par des fours électriques. Les installations DRI fonctionnent à l’hydrogène, les fours électriques à l’électricité. Si ces sources d’énergie sont produites de manière renouvelable, il n’y a pas d’émissions de carbone, et l’acier est donc vert. Comme il n’y a pas encore assez d’hydrogène renouvelable, le gaz naturel peut constituer une solution provisoire. Cela permettrait déjà de réduire considérablement les émissions.

Le problème énergétique en Europe

En 2021, ArcelorMittal avait annoncé des investissements dans des installations DRI et des fours électriques en Allemagne (Brême et Eisenhüttenstadt), en Espagne (Gijón), en France (Dunkerque) et en Belgique (Gand). Pour ArcelorMittal, l’Europe constituait le lieu idéal pour investir dans l’acier vert.

Le continent pouvait compter sur le gaz russe bon marché. Mais avec la guerre en Ukraine, celui-ci a été remplacé par du gaz plus cher, importé des États-Unis. Le pic de la crise énergétique en 2022 a été en partie causé par une spéculation à grande échelle sur de potentielles pénuries de gaz. Et comme le prix de l’électricité en Europe est aligné sur celui du gaz, il a lui aussi grimpé en flèche. Malgré la baisse du prix de l’énergie, les entreprises européennes paient toujours l’électricité 2 à 3 fois plus cher et le gaz naturel 4 à 5 fois plus cher qu’aux États-Unis.

L’incertitude quant à la disponibilité d’énergies renouvelables et d’hydrogène abordables en Europe joue également un rôle important dans la décision d’ArcelorMittal. La promesse de faire de la mer du Nord la centrale électrique de l’Europe, grâce à des investissements à grande échelle dans les parcs éoliens en mer, semble pour l’instant n’être qu’une chimère. Les objectifs ambitieux annoncés par la Commission européenne pour l’hydrogène sont très loin dʼêtre atteints.

Faible demande et surcapacité mondiale

L’Europe est confrontée à une faible demande en acier et à une surcapacité de production d’acier au niveau mondial. La consommation d’acier dans l’UE a commencé à baisser en 2022, au lendemain de la guerre en Ukraine et suite à l’augmentation sans précédent du prix de l’énergie. Depuis, la demande a considérablement diminué, en partie à cause de l’incertitude économique croissante au niveau mondial et de la faiblesse générale de l’industrie manufacturière.

La Chine, premier producteur d’acier au monde, a vu sa demande intérieure ralentir en raison de la diminution des besoins en infrastructures et de la crise du secteur immobilier. Elle exporte donc une part de plus en plus importante de sa production. Ce phénomène exerce une pression sur les prix et la rentabilité. Les droits d’importation que Trump veut imposer sur les produits sidérurgiques pourraient aggraver la situation en Europe.

Focus en dehors de l’Europe

La plupart des usines d’ArcelorMittal sont situées en Europe, et son siège social se trouve au Luxembourg. Mais le groupe s’intéresse à des régions situées en dehors de l’Europe. Le géant de l’acier suspend ses investissements en Europe pour investir dans des marchés en croissance et dans des endroits où l’énergie est moins chère. En Inde, l’entreprise prévoit de doubler sa capacité de production au cours des prochaines années. Là où l’énergie est moins chère, elle investit dans des installations DRI. Le fer spongieux produit là-bas serait ensuite importé en Europe, où il n’y aurait que des fours électriques. Une partie importante du processus de production serait donc délocalisée.

Le Texas est un exemple concret : ArcelorMittal y a acheté une installation DRI ultramoderne. Le site, qui dispose de son propre port en eau profonde, permet de produire du fer spongieux de haute qualité. Le groupe a annoncé qu’une deuxième installation de ce type, dont la production sera destinée à l’exportation, y sera construite. Le choix des États-Unis n’est pas fortuit. Le pays incite les entreprises européennes à investir chez lui grâce à un programme de subventions à grande échelle nommé « Inflation Reduction Act » (loi sur la réduction de l’inflation).

Des mesures commerciales comme solution ?

Pour tenter de convaincre ArcelorMittal d’investir en Europe, plusieurs États membres ont augmenté les aides d’État et ont promis de fournir de l’électricité bon marché. C’est notamment le cas de la Belgique. Le géant de l’acier exige également des mesures de défense commerciale de la part de l’Europe avant de prendre des décisions d’investissement.

Mais ces mesures ne semblent pas conçues pour empêcher la délocalisation d’une partie du processus de production. ArcelorMittal ne semble plus croire au gaz bon marché et à l’hydrogène vert en Europe. L’entreprise n’investirait que dans des fours électriques en Europe pour traiter du fer spongieux importé.

Les mesures de protection ne sont pas non plus sans risque. « Si nous introduisons une taxe sur les importations d’acier, par exemple, il y a de fortes chances que nos partenaires commerciaux introduisent une taxe sur les produits finis que nous exportons, tels que les voitures, les ordinateurs ou les airbus. Avant de nous en rendre compte, nous nous retrouverions dans une “guerre commerciale” », prévient Jos Delbeke, économiste et professeur à la KU Leuven, et ancien directeur général de l’action pour le climat à la Commission européenne. La Chine est un débouché pour de nombreuses industries en Europe. De nombreuses entreprises – près de 120 en Flandre, selon l’Institution flamande pour la recherche technologique (VITO) – dépendent également de matières premières et de technologies produites en Chine. Une guerre commerciale à la Trump pourrait coûter très cher à l’Europe.

Au port de Gand, la taxe carbone ne passe pas

L’Europe doit suivre sa propre voie

L’Europe a besoin d’un plan industriel avec des investissements publics dans l’énergie, les transports, le logement, les soins de santé et la numérisation. L’investissement public dans l’énergie nous permettrait de garantir l’accès à une énergie renouvelable bon marché, et d’offrir à l’industrie des débouchés pour la construction de cette infrastructure.

Nous devons également veiller à ce que les bénéfices réalisés par ArcelorMittal en Europe, grâce au travail de dizaines de milliers de travailleurs, ne soient pas utilisés pour délocaliser une partie de la production. Ces trois dernières années, ArcelorMittal a réalisé un bénéfice d’exploitation de 10 milliards d’euros. En Belgique, les bénéfices pour la même période se sont élevés à 1,6 milliard d’euros. Ceux-ci doivent être investis dans l’avenir de notre industrie sidérurgique.

Enfin, en ce qui concerne la surcapacité mondiale et la concurrence internationale, nous devons engager le dialogue et prendre des initiatives, comme nous l’avons fait en 2016. Les 33 plus grands sidérurgistes avaient formé un forum mondial sur la surcapacité de production d’acier. Dans ce cadre, la Chine avait accepté de réduire de près de 150 millions de tonnes sa capacité de production d’acier entre 2016 et 2020.