Billy Mwangaza d’Étoile du Sud sur le combat contre le coronavirus en République démocratique du Congo

Afin de mieux comprendre la situation en République démocratique du Congo (RDC), nous avons interrogé l’un des responsables d’Étoile du Sud (EDS)¹, Billy Mwangaza. EDS est basée en RDC et partenaire d’Intal Congo² et de Viva Salud³. EDS se bat pour le droit à la santé en misant sur l’empowerment (renforcement du pouvoir d’action) des Congolais les plus précarisés. Leur expertise de terrain, notamment dans la lutte contre le virus Ebola⁴ l’année dernière, est sans doute une richesse précieuse dans la lutte contre le Covid-19.

Bien qu’habitant Kinshasa, Billy nous répond depuis Goma, ville située à 2 000 kilomètres de son domicile. Il y était en mission de travail lorsque, à cause de la crise du coronavirus, les vols reliant la capitale congolaise ont été suspendus. L’entretien a été réalisé par téléphone, le lundi 30 mars.

Ce 30 mars 2020, la RDC compte 70 cas de coronavirus et 6 morts selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a mis en place l’état d’urgence sanitaire le 24 mars dernier. Quelles sont exactement les mesures prises par le gouvernement ?

Billy Mwangaza. En réalité, le bilan est de 85 cas confirmés, 8 décès ainsi que 3 guérisons. Le gouvernement a effectivement pris une série de mesures il y a une semaine. Un des objectifs prioritaires est de contenir la propagation à la seule ville de Kinshasa et éviter la contamination du reste du pays. Mais beaucoup de confusion a suivi l’annonce des mesures. Il était notamment question de mettre la ville de Kinshasa, épicentre de la crise, en confinement mais, à peine quelques heures avant son début, le gouvernement s’est rétracté. Les autorités ont craint qu’il y ait une hausse de l’insécurité, due à la panique causée par cette mesure, et des prix.

On a par ailleurs mis en place une task force nationale de lutte contre le coronavirus, dirigée par l’épidémiologiste Jean-Jacques Muyembe⁵, qui a grandement contribué à éliminer le virus Ebola l’année passée. On a également renforcé plusieurs structures censées assister la task force, comme le laboratoire de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB), qui travaille étroitement avec l’OMS. Et, enfin, on a sensibilisé la population concernant les mesures d’hygiène à respecter.

Quel est le plan du Dr Mueymbe pour faire face à la crise ? A-t-il les ressources qu’il faut pour accomplir sa mission ?

Billy Mwangaza. Le docteur Muyembe est un épidémiologiste reconnu avec une expérience remarquable. Il est le codécouvreur du virus Ebola en 1976, et dirige actuellement l’INRB. Dans le passé, il a aidé à lutter contre Ebola au Liberia. L’an dernier, alors que l’OMS échouait à stopper Ebola à l’est du pays, il a mis en place une stratégie qui a permis de limiter, puis de prévenir les décès. Aujourd’hui, grâce à lui, nous sommes en train de démanteler les différents centres de traitement contre Ebola. Et nous sommes fiers que cette mission soit à nouveau confiée à un fils du pays plutôt qu’à une organisation étrangère.

Concernant les ressources dont il dispose : comme partout en Afrique, on a beau avoir des bons plans et des gens compétents, il se pose toujours le problème des moyens. Étant donné que la pandémie est mondiale, chaque pays est concentré sur ce qui se passe sur son territoire. Nous devons donc compter sur nos propres ressources.

Qu’est-ce qui a été déterminant dans la victoire contre Ebola et qui peut être utile aujourd’hui contre le coronavirus ?

Billy Mwangaza. Au début de la crise Ebola, l’OMS a voulu se passer des structures sanitaires existantes et des différents acteurs congolais en créant ses propres structures parallèles. Face au nombre de morts qui augmentait de jour en jour, le gouvernement avait alors décidé de centraliser la gestion de la crise au sein d’une task force et d’en confier la direction au Dr Muyembe. Sa stratégie sera différente : il va miser en priorité sur la population, pour qu’elle prenne en main la sensibilisation et qu’elle soit une actrice de premier plan contre le virus. L’idée était de s’appuyer sur les réseaux de proximité au sein de la population pour qu’elle-même s’autocontrôle. La task force venait alors en soutien en apportant les outils de sensibilisation, en coordonnant l’action des structures médicales sur le terrain et en canalisant les moyens où c’était nécessaire. Cette stratégie a fonctionné.

J’ai appris que les prix des denrées alimentaires avaient doublé à Bukavu depuis que le Rwanda a décidé de fermer sa frontière avec la RDC il y a une semaine. Qu’en est-il à Goma et dans le reste du pays ?

Billy Mwangaza. Un sac de riz à 27 000 francs coûte maintenant 42 000 francs à Goma. Un kilo de viande de porc qui se vendait à 5 500 francs en coûte aujourd’hui 7 500. À Kinshasa, la hausse des prix sera bien pire. Nos politiciens sont responsables de cette situation : cela fait trop d’années qu’on dépend de l’extérieur. On devrait avoir des fermes, des plantations publiques. Ou bien se servir de la production privée pour répondre aux besoins de la population. Espérons que cette crise entraînera une prise de conscience et que le pays produira enfin lui-même ce dont il a besoin. Il faut mettre la population à l’œuvre. Nous faisons ce plaidoyer auprès de notre État avec le peu de moyens dont nous disposons à Étoile du Sud.

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont demandé le gel du paiement des intérêts des dettes des pays africains pour 2020. Certains pays européens comme la France ont défendu l’idée d’un plan d’urgence pour aider l’Afrique. Quel regard portez-vous sur ces réactions et ces propositions d’aide ?

Billy Mwangaza. Aujourd’hui, il y a plus de morts du coronavirus en France qu’au Congo. Mais Macron veut aider l’Afrique ? Très bien. Le FMI et la Banque mondiale veulent geler les dettes ? Très bien. Ma question est celle-ci : ils y gagnent quoi ? Quel est leur intérêt derrière cette « générosité » ? L’intérêt des grandes multinationales occidentales est qu’aucun pays africain n’émerge, que nos pays ne reprennent pas le contrôle de quoi que ce soit chez eux. Ils vont sûrement conditionner leur aide pour lutter contre le Covid-19 au fait qu’on s’endette encore plus auprès d’eux. Ceux qui créent les problèmes prétendent venir après apporter les solutions… Et nos présidents africains, faibles, obligés de suivre ces gens-là… Ce n’est pas normal ! Par contre, je félicite la Chine d’avoir bien géré l’épidémie et d’avoir limité le nombre de morts chez elle. J’accepterais plus volontiers son aide : elle a prouvé qu’elle pouvait être efficace pour endiguer le virus. Et puis la Chine, même si elle a émergé, elle a comme nous un rapport ambigu, teinté de néocolonialisme, avec l’Occident.

Actuellement, en Europe, il y a des dizaines de milliers de contaminés, plusieurs milliers de morts. Les hôpitaux sont un peu dépassés et le personnel soignant est épuisé. Comment l’expérience congolaise contre Ebola (par exemple la méthode de terrain d’Étoile du Sud) pourrait-elle être utile ici dans la lutte contre le coronavirus ?

Billy Mwangaza. L’Europe est effectivement attaquée de plein fouet. Je suis assez étonné de voir que même dans les pays riches, des médecins manquent de masques et les systèmes de santé sont sous-financés. Si l’Europe a du mal à s’en sortir malgré sa richesse, comment les pays africains vont-ils surmonter la crise sanitaire ?!

La comparaison est cependant difficile, car les contextes sont très différents. Chez nous, la population n’est pas informée sur des mesures simples comme le fait d’éviter de se saluer, sur la distanciation sociale ou la nécessité de se laver les mains régulièrement. On fait du porte-à-porte avec des animateurs, des militants. On n’a pas d’argent, mais il nous reste la sensibilisation. Nous ne voulons cependant pas mettre en danger nos militants. Il faut les protéger et les aider à détecter à temps les signes de la maladie. On essaie d’être prudent, mais on a besoin de masques. On en appelle à une solidarité des peuples.

Nous appelons nos lecteurs à participer à la campagne de solidarité de Viva Salud à l’égard de son partenaire Étoile du Sud. Pour plus d’informations : https://www.vivasalud.be/fr/la-lutte-contre-le-corona-au-congo/

Mise à jour du 6 avril

Ce 6 avril, nous en sommes à 161 cas confirmés et 18 décès pour toute la RDC. Quatre provinces sont touchées en dehors de Kinshasa. Il s'agit du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Kwilu et de l'Ituri.

Le 2 avril, le gouverneur de la ville de Kinshasa a annoncé la mise en quarantaine de la commune résidentielle de la Gombe (une des 26 communes que compte Kinshasa). Le reste de la ville continuera à fonctionner plus ou moins normalement. Ce confinement durera du 6 au 20 avril. Foyer principal de la contamination, cette commune comprend notamment le siège du gouvernement, les grandes ambassades ainsi que les sièges des grandes banques.

Il va se poser assez vite un problème dans les hôpitaux locaux car, pour les 14 millions de Kinois, il n’y a que 65 respirateurs.

Le 3 avril, le Dr Muyembe annonçait des tests cliniques en RDC de vaccins élaborés aux États-Unis, en Chine et au Canada pour les mois de juillet-août. Une petite tempête a suivi sur les médias sociaux, interprétant les mots du Dr Muyembe comme un encouragement à se servir des Congolais comme cobayes humains. Or dans une deuxième vidéo, le docteur explique qu’il ne s’agit pas de tests avec des cobayes mais bien de tests cliniques pour lesquels des volontaires peuvent se porter candidats, comme cela se fait partout dans le monde. Précisons aussi que tous les experts, peu importe leur nationalité, disent que la seule façon d’arrêter définitivement la pandémie est l’application d’une vaccination massive, que les optimistes espèrent pouvoir mettre en œuvre début 2021.

Questionné concernant la déclaration du Dr Muyembe, Billy Mwangaza, nous a dit le 5 avril s’inquiéter de « cette mauvaise communication » et qu’il fallait se méfier de « la manipulation et l’ingérence des forces extérieures (comme l’ambassadeur américain, qui était présent lors de la première déclaration du Dr Muyembe, ndlr) qui ne peuvent pas accepter que la direction du combat contre le Covid 19 soit dans les mains de Congolais et qui veulent discréditer le Dr Muyembe ».

1. Étoile du Sud est une ONG congolaise dont les activités visent le respect du droit à la santé, par la participation active de la population à la construction d’un système durable de soins de santé en RDC, et particulièrement à Kinshasa.

2. Le groupe Intal Congo est actif sur le terrain de la lutte décoloniale, pour la promotion de la solidarité internationale et la lutte anti-impérialiste. 

3. Viva Salud est une ONG belge qui lutte pour le droit à la santé sur le plan mondial.

4. Le virus Ebola est un virus qui provoque une fièvre sévère, baptisée maladie à virus Ebola. Cette maladie très grave et contagieuse a notamment entraîné la mort de milliers de personnes en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016.

5. Le 3 avril, une communication du docteur Muyembe concernant des tests cliniques de vaccins en RDC a créé la polémique. Nous y revenons ci-dessous dans la mise à jour du 6 avril.