Climat : les géants du pétrole dans les coulisses de l'Europe

« Dis-moi qui tu rencontres, je te dirai qui tu défends » (proverbe d’eurocrate). Le rapport accablant d’une ONG sur les rencontres menées par le commissaire européen pour le Climat et l’Énergie a de quoi faire frémir. Pas de quoi s’étonner : celui-ci est surnommé « le baron du pétrole » en raison de son passé dans ce business.

Paris, 12 décembre 2015. Les chefs d’États se félicitent, les multinationales soupirent de soulagement : l’accord sur le climat est signé. Pour les militants écologistes, il a néanmoins un goût amer : les objectifs ne sont pas contraignants, le marché des émissions reste présent, et la sortie des énergies fossiles n’est pas à l’agenda. Depuis, l’intense lobbying des multinationales polluantes n’a pas cessé, loin de là. Et a trouvé une oreille plus qu’attentive.

Un rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory paru le 8 juin dernier a ainsi exposé comment le commissaire européen pour le Climat et l’Énergie, l’Espagnol Miguel Arias Cañete, ainsi que le Vice-président de l’Union énergétique, Maros Sefcovic, ont largement favorisé les rencontres avec l’industrie et les multinationales de l’énergie fossile plutôt qu’avec des représentants d’ONG, des syndicats et d’acteurs de l’énergie renouvelable. (Voir ci-dessous le tableau des principales rencontres)

Ainsi, sur les 163 rencontres que ces deux hommes ont mené depuis la signature de l’accord de Paris, 71 % ont eu lieu avec les grandes entreprises, 17 % avec des ONG, 5 % avec les syndicats. Par ailleurs, dans les représentants des grandes entreprises, sur 65 réunions menées par Cañete et Sefcovic avec des représentants des entreprises d’énergie, 56 concernaient des acteurs présents dans l’énergie fossile, contre 9 pour des représentants de l’énergie renouvelable.

Transport polluant et gaz à go-go

Parmi les rencontres clefs qu’ont menées les commissaires européens, on notera l’insistance d’Airbus, membre du groupe de lobbying International Aviation Transport Association (IATA) qui, selon CEO, « a joué un rôle clef pour maintenir l’aviation en dehors des négociations de Paris, bien que ce soit un des secteurs dont les émissions de CO2 augmentent le plus vite ».

Autre acteur remarquable, le Trans Adriatic Pipeline, un consortium qui représente les intérêts derrière le Southern Gas Corridor, un projet de gazoduc immense qui relancerait la machine pour l’exploitation du gaz en Europe.

Les énergies fossiles semblent donc avoir encore un bel avenir en Europe.

Cañete, de Big Business à Big Politics

Outre le lobbying, l’industrie bénéficie d’interlocuteurs privilégiés au sein des institutions. C’est le cas du commissaire européen Miguel Arias Cañete. Outre le fait d’être cité dans une affaire de corruption lorsqu’il était ministre en Espagne, il était toujours actionnaire de deux entreprises pétrolières alors qu’il démarrait son mandat européen. Il a depuis transmis ses parts à sa femme, laquelle a récemment été citée dans le scandale financier des Panama Papers. Tout un symbole.

Besoin d’action, besoin de démocratie

Dans son rapport de 2014, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU) indique qu’il est encore possible d’agir pour sauver le climat. Mais, pour cela il faut une action à grande échelle et de manière coordonnée. Cela signifie des initiatives par les pouvoirs publics, avec une approche planifiée et une participation démocratique. La lutte pour le climat est une lutte sociale, une lutte pour une autre forme de société. Tant que les multinationales et leurs représentants dans les instances politiques seront les seuls acteurs concernés, ce changement n’aura pas lieu. C’est pourquoi le mouvement climatique reste mobilisé.

Article publié dans le mensuel Solidaire de juillet 2016. Abonnement.