Élections sociales : portrait de syndicaliste | « Être là pour mes collègues, c’est mon adrénaline »

Tout le monde l’appelle Gigi. À 52 ans, Ghislaine Marie est déléguée syndicale chez Galeria Inno à Liège depuis 12 ans. Son grand dada, c’est le temps de travail. 

« Au début des années 1990, je suis entrée comme intérimaire à l’Inno pour une société extérieure. Puis, j’ai été engagée à temps plein par une marque, toujours à l’Inno. À l’époque, c’était 40 heures par semaine. En 1995, la firme a fait faillite, et l’Inno m’a engagée en CDD jusqu’à la naissance de mon fils, fin 1996. Après deux ans et demi d’interruption de carrière, j’ai pu recommencer à l’Inno, à temps partiel, au rayon listes de mariage. J’avais à la fois le contact avec le client et le travail administratif, tout ce que j’aimais. 

En 2004, la déléguée de la CSC m’a proposé d’être candidate aux élections sociales. Il lui manquait des candidates pour compléter la liste. Avec mes expériences en itérim, je savais ce que voulait dire gérer ses propres papiers et défendre ses droits. Alors, pourquoi ne pas le faire pour les autres ? J’ai été élue directement au CPPT (comité de prévention et de protection au travail), puis en délégation syndicale. 

Au fil du temps, j’ai appris à connaître les conventions collectives du secteur et de l’entreprise pour pouvoir répondre aux questions du personnel : les heures complémentaires et supplémentaires, les congés, les temps de repos, le montant du pécule de vacances... 

Le dimanche, jour de repos

Mais, à côté des questions individuelles, il y a aussi l’action collective. Fin 2014, nous avons connu à Liège deux grandes actions contre le travail du dimanche. Il n’y avait plus eu de telles actions dans le magasin depuis les années 1960. La direction voulait une augmentation du nombre de dimanches d’ouverture et avait obtenu l’accord d’une partie des représentants syndicaux, mais le personnel y était farouchement opposé. On a essayé de nous faire croire que la concurrence allait augmenter les ouvertures du dimanche mais, en fait, les autres enseignes surveillaient l’attitude de l’Inno. Après deux actions de blocage du magasin, nous avons gagné. Nous continuons donc à travailler 6 dimanches par an. Et l’action a profité à l’ensemble du pays. Mais la question du dimanche n’est pas close. Nous allons continuer à taper sur le clou. 

Le temps de travail est un problème de plus en plus complexe dans les grands magasins. Le contrat standard chez Galeria Inno est de 25h en 5 jours. Mais on a aussi des 30-32h, et des mi-temps à 18h/semaine pour le personnel en fin de carrière. Le temps plein, c’est 35h, accordé surtout aux chefs de rayon et premières vendeuses. Avant, beaucoup demandaient des avenants pour faire quelques heures de plus. Mais maintenant, c’est fini. Les gens n’en peuvent plus. Nous devons être polyvalentes. Gérer les stocks du rayon, aller chercher la marchandise en zone de transit, mettre les produits en rayon, s’occuper de la caisse, renseigner les clients… on court du matin au soir. Pas mal d’employées sont des mamans seules avec enfants et, à partir de 40 ans, elles rêvent de pouvoir prendre un crédit-temps. Mais cela n’est plus possible (suite au Pacte des générations et aux mesures du gouvernement Di Rupo, NDLR).

La réduction du temps de travail

J’ai travaillé sur cette question pendant ma formation syndicale, et ma conclusion est qu’il faut une réduction du temps de travail. Un temps plein, ça devrait être 32 ou 30 heures par semaine. Sans perte de salaire et avec embauche compensatoire. C’est la seule façon de soulager les plus âgées tout en créant de l’emploi pour les jeunes, qui en ont bien besoin. 

L’an dernier, j’ai lancé un petit journal pour le personnel du magasin. Le dernier numéro était consacré à la convention collective 104 sur le maintien au travail des travailleurs de plus de 45 ans. Mon idée de départ était que le personnel avait besoin de formation pour rester dans le coup. Mais, en fait, le personnel n’est pas demandeur. Il veut pouvoir souffler, avoir du temps libre. Et on en revient donc à la question de la réduction du temps de travail.

J’ai aussi créé une page Facebook qui permet de partager les infos de façon plus large que dans le magasin et de créer des liens entre les membres du personnel et les autres travailleurs du secteur commerce. Ça prend du temps, mais ça développe l’interaction, ça construit et ça unit l’équipe syndicale. 

De Liège à Tunis

Il y a sept ans, j’ai commencé l’école syndicale, qui m’a permis de m’ouvrir l’esprit à d’autres secteurs et de rencontrer d’autres syndicalistes. Par exemple, les filles du non-marchand. Respect pour elles. Quand je vois dans quelles conditions elles travaillent et font du syndicalisme, j’arrête de me plaindre. J’ai aussi été interpellée par la situation en Europe et la politique internationale. J’ai eu la chance de participer au Forum social à Tunis, et j’y ai entendu des témoignages bouleversants. Ça a renforcé mon envie de solidarité. Pour l’avenir, je veux rester en entreprise, au contact des affiliés. Les sollicitations de mes collègues, c’est mon adrénaline. » 

Gigi avant l’Inno
Française, Gigi est arrivée en Belgique à la fin de ses primaires. Sa maman était femme au foyer, son papa, maçon. Elle a quatre frères et trois sœurs. « Je viens d’une famille modeste, mais qui avait des grandes valeurs : l’honnêteté, le respect de l’autre, la volonté d’aider son prochain. Des valeurs qui m’accompagnent toujours. » Après avoir terminé ses études secondaires en secrétariat et administration à l’Eccsac, elle avait voulu repartir en France, mais la vie en a décidé autrement. 

L’entreprise

Galeria INNO, c’est 16 magasins en Belgique pour 1370 travailleurs. Intégrée au groupe allemand Metro via Galeria Kaufhof de 2001 à 2015, la chaîne appartient aujourd’hui au groupe canadien HBC, Hudson’s Bay Company. Le concept « Espace de marques » est de regrouper sous un même toit ses propres produits et des « shops » d’articles de marque de firmes extérieures. Galeria INNO fait partie du secteur de la distribution et les travailleurs relèvent des commissions paritaires 311 et 201. Les travailleurs des firmes extérieures relèvent des CP 201, 200 et 215.

Article publié dans le mensuel Solidaire de février 2016. Abonnement.