Gratuité des bus : pourquoi les politiciens belges devraient s’inspirer de Dunkerque

Une hausse de fréquentation des bus de 85 % en un an, abandon de la voiture, moins d’incivilités et des usagers satisfaits. Dunkerque montre que la gratuité totale et une augmentation de l’offre de transports en commun fonctionnent.

Lorsque les partisans de la gratuité des transports en commun, comme le PTB, font entendre leur voix en Belgique, une levée de boucliers se fait immédiatement entendre de la part des partis traditionnels. Pour tenter d’y voir plus clair, étudier l’expérience de Dunkerque est intéressante. La ville a sorti un rapport suite à l’anniversaire de la gratuité (septembre 2018). L’expérience va à contre-courant des idées pré-conçues de certains politiciens comme l'ancien Ministre de la mobilité, Carlo Di Antonio, qui s’est constamment opposé de manière féroce à toute révision (vers le bas) des tarifs des tickets de bus TEC. Il jurait que « la gratuité est inefficace, que ce n’est pas un bon signal, qu’elle n’amènera pas plus d’utilisateurs dans les bus ». L’expérience de Dunkerque démonte les trois arguments souvent donnés par les détracteurs de la gratuité totale : c’est impayable, les gens n’abandonnent pas leur voiture avec la gratuité et ce qui est gratuit n’a pas de valeur pour les gens.

« La politique, c'est choisir de quel côté on met l'argent »

A Dunkerque, la gratuité entraîne des coûts supplémentaires de 14,5 millions d’euros par an. C’est un choix politique assumé par les autorités locales. Le financement principal est assuré par le « versement transport », qui consiste en une généralisation du remboursement total par les employeurs des abonnements de transports en commun. En France, plutôt qu’un remboursement individuel, l’employeur paie un montant forfaitaire par travailleur pour financer les transports en commun. Ce « versement transport » couvre 56 % du budget, le reste est assuré via le contribuable. Les recettes dues aux billets ne s’élevaient déjà plus qu’à 10 % l’année précédant la gratuité. Les coûts supplémentaires ont aussi pu être assumés en décidant de ne pas construire l'« Arena » (une grande salle de spectacle et de sport) permettant de débloquer 60 millions d’euros bien nécessaires aux travaux d’aménagement du réseau - qui datait des années ‘70.

« La politique, c’est choisir de quel côté on met l’argent. Aujourd’hui, Dunkerque n’a pas d’Arena de 10 000 places pour recevoir Rihanna, mais on a les transports collectifs gratuits ». Cette phrase a été prononcé par le maire de Dunkerque. Il s’agit en effet d’une question de choix politique.

A Charleroi, la logique de « city-marketing » engendre aussi des projets de prestige comme un nouveau Palais des Congrès ou une marina sur la Sambre qui valent ensemble plus de 35 millions d’euros. Au total, c’est plus de 200 millions d’euros d’argent public qui ont été dépensés ou vont l’être dans les années à venir dans le centre ville carolo via les plans « Phénix » et « Charleroi DC ». A titre de comparaison, la gratuité des transports en commun à Charleroi coûterait 6,5 millions d’euros. Le coût total de la gratuité des TEC (en Wallonie) et de la STIB (Bruxelles) est estimé à 320 millions d’euros par an.

La gratuité transforme le rapport entre les gens et les transports en commun

L’exemple de Charleroi n’est pas anodin, toutes les grandes villes belges subissent actuellement la logique bling-bling de « city-marketing » qui ne répond pas aux besoins des habitants. Charleroi et Liège ont été pointées fin 2018 comme cancres de la mobilité durable et active. En un an, le Liégeois utilise 69 fois le bus, le carolo 117 fois alors que pour le bruxellois c'est 341 fois. Les habitants ont besoin d’un sérieux réaménagement du réseau et de la mise en place de la gratuité pour qu’un transfert modal ait lieu, c'est-à-dire un passage de la voiture vers le transport en commun.

80 % des personnes interrogées assurent que la gratuité a joué un rôle central dans l’augmentation de leur usage du bus

Dès les premières semaines suivant le lancement de la gratuité à Dunkerque (septembre 2018), le succès était au rendez-vous. Un nette hausse de la fréquentation a pu être directement observée. La fréquentation des transports en commun a fait un bond de + 85 % avec un pic à +125 % le week-end. La majorité des nouveaux usagers réalise en bus des trajets autrefois effectués en voiture. C’est particulièrement le cas des retraités et des cadres. Sur 2 000 usagers interrogés, il s’avère que 50 % d’entre eux étaient des nouveaux usagers et que 48 % ont totalement abandonné la voiture. Huit personnes interrogées sur 10 assurent que la gratuité a joué un rôle central dans l’augmentation de leur usage du bus.

Anne-Claire témoigne : « Finalement même si j’ai le pouvoir d’achat pour le faire, je trouve que ça revient quand même cher un ticket, pour un trajet d’une dizaine de minutes. Psychologiquement, pour un trajet court, ça reste un frein, et on prend la voiture. » Grâce à son efficacité et à la gratuité, l’attractivité du réseau a été renforcée. Ce qui a permis d’entraîner des changements d’habitude dans les pratiques de mobilité de la population. Un des objectifs majeurs a donc été accompli : un transfert modal.

Grâce à une bonne communication avec la population, les citoyens ont su profiter de cette gratuité directement. La qualité du réseau et la simplicité d’usage ont permis de créer des habitudes et de pérenniser des pratiques. De plus, l’office du tourisme reçoit beaucoup de compliments de la part des touristes. Il est en effet très peu probable qu’ils passent à côté de la gratuité avec la vaste campagne de communication mise en place.

Pas d'augmentation des incivilités... au contraire

Le ministre de l’économie bruxellois, Didier Gosuin (Défi), a récemment déclaré que « ce qui est gratuit n’a pas de valeur » en visant la revendication de la gratuité des transports en commun. En effet, beaucoup craignent que l’établissement de la gratuité totale des transports en commun entraîne une dégradation des infrastructures et une augmentation des incivilités.

La gratuité à Dunquerke a été accompagnée d’une vision globale de réaménagement du réseau

L’expérience de Dunkerque prouve le contraire : les responsables de l’exploitation du réseau s’accordent pour dire qu’il n’y a pas d’augmentation des incivilités en lien avec le passage à la gratuité, malgré une hausse de fréquentation importante. Le directeur a même illustré ce constat en comparant les coûts liés aux réparations engagées entre septembre et décembre 2018 et la même période en 2017 : ils ont diminué de 35 % lors du passage à la gratuité. Ce qui amène le directeur du réseau à affirmer : « la gratuité favorise un plus grand respect de nos matériels ».

Il est important de souligner que la gratuité à Dunquerke a été accompagnée d’une vision globale de réaménagement du réseau et d’une démarche réfléchie en concertation avec la population ainsi qu’avec des acteurs publics, privés et associatifs. A suivi ensuite un renouvellement de l’offre du réseau, le tout couronné par une campagne de communication. Enfin, cela a également permis d’améliorer globalement le cadre de vie de la population en augmentant leur pouvoir d’achat et en redynamisant la mobilité dunkerquoise. Au-delà des idées pré-conçues, il est essentiel de s’inspirer des succès qui nous entourent. La gratuité des transports en commun à Dunkerque en est définitivement un.

La gratuité des TEC reportée aux calendes grecques ?

Dans sa Déclaration de Politique Rrégionale, le Gouvernement Wallon a promis d’instaurer la gratuité partielle des transports en commun. Par partielle, entendez qu’elle se limite aux personnes âgées de moins de 25 ans, aux plus de 65 ans ainsi qu’aux « personnes précarisées ». C’est un pas qui va dans le bon sens sur le plan social et modestement sur le plan écologique. Toutefois, la gratuité partielle ne permettra pas de changer nos habitudes pour passer massivement de la voiture aux transports en commun. Par ailleurs, c'est le ministre actuel de la mobilité, Philippe Henry, qui avait mis fin à la gratuité pour les plus de 65 ans en 2013. De plus, il ne semble pas pressé : on parle d’une mise en œuvre « progressive » de la gratuité partielle. Comprenez : l'établir en Wallonie pour 2024. Cela se ressent d’ailleurs dans le budget de 2020 qui vient d’être approuvé par le Parlement Wallon. On peut y lire qu’« en 2020, 5,4 millions d’euros seront prévus pour l’instauration progressive de la gratuité partielle ». Si ces 5,4 millions d’euros sont effectivement utilisés, ils le seront au détriment des charges d’exploitation des TEC, c’est-à-dire aux dépens de l’entretien des bus (déjà vieillissants), d’augmentations salariales ou de futurs engagements de personnel - déjà en sous-effectif actuellement. Aucun budget supplémentaire n’a été prévu par le Gouvernement Wallon PS-MR-Ecolo alors que, sans parler de gratuité partielle, de nombreux trajets sont régulièrement supprimés, à cause d’un manque de personnel et de bus vieillissants.