« La destitution de la présidente Dilma est un nouveau coup pour la gauche en Amérique latine »

« Avec la destitution de la présidente Dilma Rousseff, la droite brésilienne a obtenu ce qu’elle n’avait pu obtenir par les élections : la fin, après treize ans, d’un gouvernement de gauche », écrit l’agence de presse progressiste latino-américaine Telesur. Plusieurs gouvernements latino-américains et le groupe de gauche du Parlement européen qualifient cette destitution de farce et de coup d’État parlementaire.

Le 31 août, avec 61 voix contre elle et 20 voix pour, la présidente du Brésil Dilma Rousseff a été définitivement destituée par le Sénat. Michel Temer, l’homme politique de droite qui assurait la présidence par intérim, a ensuite prêté serment et sera donc le chef de l’État jusqu’aux prochaines élections, en 2018.

Depuis mai dernier, une enquête était en cours au Sénat à l’encontre de Dilma Rousseff. Elle était accusée d'avoir engagé des dépenses sans l’approbation du Parlement et d’avoir maquillé le budget pour masquer l’ampleur du déficit dans la perspective de l’élection présidentielle de 2014. Dans l’attente du verdict de cette procédure, Rousseff avait été provisoirement démise de ses fonctions. Rousseff n’a toutefois pas été accusée de corruption ou de détournement de fonds. Ce qui lui est reproché, c’est une pratique qui a cours dans plusieurs pays avant des élections.

Paradoxalement, la majorité des sénateurs et des parlementaires qui ont voté la destitution de Rousseff sont, eux, bel et bien impliqués dans des scandales de corruption. Temer, le président nouvellement installé, a lui-même été condamné pour corruption et ne pourra pas se présenter aux élections durant les huit prochaines années. C’est pourquoi non seulement Rousseff et son parti, mais aussi la gauche dans le monde entier parlent d’un coup d’État parlementaire.

Des sondages montrent que 60% des Brésiliens veulent rapidement une élection présidentielle anticipée. Lula Da Silva, du même parti que Dilma Rousseff, serait dans ce cas favori. Mais une enquête est également en cours à l’encontre de Lula, ce qui pourrait le rendre inéligible.

Depuis mai dernier, Temer a déjà réduit plusieurs programmes sociaux et supprimé des subsides pour les prix des denrées alimentaires, les soins de santé et l’enseignement. Et le nouveau président a annoncé des mesures d’économies encore plus dures.

« Temer, dehors ! »

Le 1er septembre, dans à peu près toutes les grandes villes, les mouvements sociaux brésiliens ont protesté contre la destitution de Rousseff. Les manifestations étaient organisées par un large front populaire brésilien. Celui-ci comprend entre autres le Mouvement des paysans sans terre (MST), qui est critique envers la politique de Rousseff mais soutient la présidente – désormais destituée – contre les attaques de la droite. Il est également composé de mouvements de la société civile, comme le Frente Povo Sem Medo (Front du Peuple sans peur) qui lutte contre les expulsions de logements. Et il y a bien sûr les partis de gauche faisant partie de la coalition gouvernementale de Dilma : le Parti des travailleurs (PT) de Lula et Dilma, le Parti démocratique travailliste (PDT) et le Parti communiste van Brésil (PCdoB).

Avec des slogans comme « Temer, dehors ! » et « Défendons la démocratie », les manifestants sont descendus dans la rue dès 6 heures du matin. À Sao Paulo, ils ont barré plusieurs axes routiers menant au centre-ville. Les manifestants dénonçaient également la répression policière exercée lors d’une manifestation quelques jours auparavant et qui avait été dispersée par des gaz lacrymogènes et des tirs de balles en caoutchouc.

Après le vote du Sénat, Dilma Rousseff a appelé à une « résistance énergique et sans relâche contre le gouvernement de droite arrivé au pouvoir par un coup d’État ». « Tous les mouvements sociaux et syndicaux et tous ceux qui luttent pour leurs droits vont devoir faire face à ce gouvernement. Le droit à l’emploi, la législation sur le travail, une pension décente, le logement et la terre, les droits des Noirs, des femmes, des homos : tous ces droits sont en danger. » Elle a également prévenu la droite : « Je suis certaine que ce coup d’État n’est pas définitif. Nous reviendrons. »

Réactions en Amérique latine en Europe

Dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères, le gouvernement cubain a qualifié la destitution van Dilma Rousseff de coup d’État et d’« acte de mépris pour ses électeurs ». Durant les treize années où la gauche était au pouvoir, « le Brésil a contribué à la mise en échec de l’Accord de libre-échange (que les États-Unis voulaient imposer à l’Amérique latine, NdlR). La création de la Celac¹ et de l’Unasur² ont été possibles. L’orientation positive du Brésil par rapport à l’Afrique, l’appartenance au BRICS (groupement de pays émergents composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, NdlR), son action à l’ONU… ont également démontré son leadership international. Ce qui s’est passé au Brésil est l’une des nombreuses expressions de l’offensive de l’impérialisme des États-Unis et du grand capital contre les gouvernements révolutionnaires et progressistes de l’Amérique latine et des Caraïbes. »

Le groupe de gauche au Parlement européen, le GUE/NGL, parle d’un « coup d’État par lequel chaque dirigeant dans le monde pourrait être écarté ».

Les gouvernements du Venezuela, de Bolivie et d’Équateur ont rappelé leurs ambassadeurs au Brésil. Evo Morales, le président de la Bolivie, a écrit : « Nous condamnons le putsch parlementaire contre la démocratie brésilienne. Nous soutenons Dilma et Lula dans ces temps difficiles. » Le président vénézuélien Maduro a écrit sur Twitter : « Nous n’accepterons jamais des pratiques qui nous rappellent les temps les plus sombres que nous avons connus sur notre continent. »

1. La Communauté d’États d’Amérique latine et des Caraïbes ou Celac est une organisation internationale composée de 33 États indépendants du continent américain, hormis les Etats-Unis et le Canada.

2. L’Union des nations sud-américaines ou Unasur est une communauté politique et économique de 12 pays d’Amérique latine.