« La politique est trop importante pour être laissée à des politiciens professionnels »

Les mesures concoctées par le ministre de l’Emploi Kris Peeters (CD&V) pour le marché du travail suscitent un très grand mécontentement. Plusieurs personnalités du monde associatif ont lancé une pétition contre la « loi Peeters », dont le virologue Marc Van Ranst et Ilse de Vooght, du mouvement de femmes Femma. Nous les avons interrogées sur cette initiative. 

Pourquoi avez-vous estimé nécessaire de soutenir ce projet ?

Marc Van Ranst. Personne ne vit en dehors du socio-économique. Moi-même, je suis responsable du travail et de l’organisation de plusieurs personnes au labo, et je me rends bien compte que ce n’est pas simple de s’organiser dans un tel groupe de gens. On essaie d’être le plus souple possible.

J’estime que la manière dont est présentée cette réforme du travail est carrément cynique. On nous fait croire que c’est une solution magnifique pour les travailleurs. La réforme est présentée de manière très positive, presque fabuleuse : « En été, vous pourrez rester davantage à la maison, et travailler plus en hiver. » Or on sait déjà pertinemment que c’est au travailleur que la flexibilité sera imposée de manière unilatérale. Dans quelques cas idéaux, dans certaines petites start-up, cela pourra se faire en concertation. Mais dans la plupart des endroits ce ne sera pas le cas.

Ilse de Vooght. Ce qui se passe est très néfaste. Il y a un an et demi, l’accord de gouvernement était déjà très alarmant. Cet accord comprenait déjà des points comme l’annualisation du temps de travail et la poursuite de l’élargissement de la flexibilité. Le ministre Peeters a par après rédigé une note de discussion présentant dix lignes de force sur le « travail faisable ». Quelques semaines plus tard, on avait plus de détails. Les semaines de travail de 45 heures sont à nouveau possibles. On nous vend ça comme une chose super intéressante pour le travailleur, alors que ce n’est absolument pas le cas. Il y a déjà maintenant bien plus qu’assez de flexibilité. Et, pour énormément de gens, travailler 45 heures par semaine n’est tout simplement pas faisable, par exemple pour les familles monoparentales (1 sur 5 en Flandre, dans l’immense majorité des femmes). On nous présente tout cela comme une innovation et une modernisation, alors qu’en fait on retourne en arrière dans le temps. C’est dans les années 1950 qu’on prestait 45 heures par semaine. Ce n’est bon ni pour nos enfants ni pour notre santé, surtout lorsqu’en plus de son travail, il y a encore toutes les tâches non rémunérées. 

Dans le texte de la pétition, vous parlez de conditions de travail du siècle passé.

Marc Van Ranst. Oui, c’est ce que nous disons explicitement. Dans la carte blanche que j’ai rédigée, je parle même de « l’époque de Daens ». Bien sûr, nous ne sommes pas revenus à cette époque. Il est indéniable que, depuis ce temps-là, les mouvements de gauche ont réussi à arracher d’énormes progrès. Mais nous devons quand même être très vigilants. A chaque fois que ces acquis sont remis en question, il faut appuyer sur le frein.

La société d’aujourd’hui avec ses nombreux acquis sociaux ne peut pas être vue comme un point culminant, après lequel ces acquis ne feront que décliner. Or il suffit de regarder autour de soi pour voir que nous régressons. Prenez par exemple l’offre de transports publics : elle est bien moindre qu’auparavant. Avant, j’avais un train direct entre le lieu où j’habite et celui ou je travaille. Maintenant, je dois changer de train et une fois sur deux, je rate ma correspondance. 

Ce démantèlement social se ressent déjà. Il est certes insidieux, mais bien à l’œuvre.

Est-ce à nouveau un paquet de mesures qui toucheront particulièrement les femmes ?

Ilse de Vooght. Absolument. Une enquête montre que ce sont toujours les femmes qui font la plus grande partie du travail non rémunéré – enfants et tâches ménagères. Comment faire alors quand le patron vous demande de prester 45 heures ?

Etes-vous en concertation avec le ministre à propos de ces mesures ?

Ilse de Vooght. Dans le cadre d’actions précédentes sur l’écart salarial, nous avons été reçues au cabinet du ministre Peeters. Nous lui avons alors expliqué ce qu’était pour nous le travail réellement émancipant. Nous sommes convaincues du fait que nous devons évoluer vers un marché du travail où nous travaillerons tous moins et où le travail sera redistribué de manière plus égale. Et tout le monde s’en porte bien mieux. On le constate en Suède, où on expérimente la semaine de 30 heures. 

Pourquoi, en tant que virologue, trouvez-vous important de vous engager politiquement ?

Marc Van Ranst. J’espère qu’il y aura un moment où on ne me demandera plus pourquoi je soutiens de telles initiatives. La politique est tout simplement trop importante pour être laissée à des politiciens professionnels. On a créé une caste où l’on se passe le job de père en fils, et ils sont tout étonnés lorsque quelqu’un qui n’appartient pas à cette caste fait entendre sa voix. Cette caste nous autorise à aller voter toutes les X années et, ensuite, on doit se taire. C’est une vision particulièrement étroite et pernicieuse de la démocratie. On a oublié l’aspect demos (le peuple) dans le mot démocratie.

Lire la lettre ouverte et signer la pétition sur www.loipeeterswet.be

Article publié dans le mensuel Solidaire de mai 2016. Abonnement.