« La révolution cubaine, c'est la solidarité, l'engagement et la justice »

Dans un autre monde, Norma Goicochea Estenoz ne serait jamais devenue ambassadrice de Cuba auprès de l'Union européenne. Avant la révolution cubaine, cette enfant de parents pauvres n'aurait pas eu la possibilité d'étudier, et encore moins de devenir une diplomate de haut niveau. Après sept ans passés en Belgique, elle rentre maintenant à Cuba. Elle a toutefois pris le temps de dire au revoir à Solidaire.

« Comme presque tous les Cubains, je viens d'une famille très modeste, raconte Norma. Maman a dû travailler pour une famille riche, en cuisine, dès l'âge de neuf ans. Ils lui ont juste donné un banc sur lequel elle pouvait grimper pour faire la vaisselle. Elle a dû arrêter l'école en fin de sixième primaire. »

Quelles ont été les conséquences de la révolution pour ta mère ?

Norma. Très jeune, elle a été victime d'un grave accident : un camion lui a écrasé le pied. Faute d'argent, sa famille n'a pas pu la soigner correctement, donc elle a continué à vivre avec une blessure mal cicatrisée. Il a fallu attendre la révolution pour qu'elle puisse bénéficier des soins nécessaires. Lors de la victoire de la révolution, elle a dit : « Jusqu'à présent, j'ai travaillé comme une esclave, mais aujourd'hui, c'est terminé ».

Elle était issue d'une famille d'esclaves ?

Norma. Oui. Mon grand-père a participé à la dernière révolte d'esclaves à Cuba. On a dit à ma mère qu'il fallait « couper la tête de cet homme noir pour mettre fin à sa rébellion ». Ma mère a fièrement poursuivi cette rébellion. À cette époque, si vous étiez pauvre, on se méfiait de vous. Si vous veniez de la campagne, on vous regardait avec mépris. Si, en plus, vous étiez noir, vous étiez un moins-que-rien. Sans la victoire de la révolution cubaine, ma vie et celle de la plupart des Cubains n'auraient été que la poursuite de l’oppression. Mais, aujourd'hui, ma famille compte des ingénieurs, des médecins, des professeurs... C'est grâce à la révolution que nous avons tous pu étudier.

Ici, beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi la révolution cubaine reste aussi importante, 60 ans plus tard. Que représente-t-elle pour vous ? 

Norma. La révolution cubaine, c'est la solidarité, l'engagement et la justice. La révolution cubaine, c'est la persévérance, un sentiment de fierté nationale, mais sans aucun chauvinisme, bien sûr. Cette fierté, c'est la révolution qui nous l'a apportée. Nous sommes bien conscients qu'elle n'est pas parfaite et qu'il reste beaucoup à faire, mais nous restons portés par l'idée que la justice est possible.

En mi-juillet dernier, des manifestations antigouvernementales ont secoué Cuba. La crise du coronavirus a durement touché le pays, qui faisait notamment face à une pénurie de produits de base.

Norma. La presse occidentale a accordé énormément d'attention à ces manifestations. Un contraste frappant avec son peu d'intérêt pour les manifestations qui se tenaient chaque semaine, il y a peu, contre le régime du président brésilien d'extrême droite Jair Bolsonaro. Quand je repense aux manifestations du 11 juillet, pour moi, ce n'est qu'un incident isolé dans notre histoire. Il ne fait aucun doute que la population cubaine souffre énormément du variant Delta du coronavirus, du tourisme qui est au point mort... Nous devons améliorer certaines choses. L'ensemble de la société cubaine y travaille.

Mais vous avez vu les violences commises par certains manifestants ? Ils ont pillé, incendié des voitures de police, détruit un hôpital pour enfants... Est-ce que ce sont vraiment les problèmes économiques de Cuba qui ont mené ces personnes à commettre de tels actes ? Pour moi, il est tout à fait normal que le gouvernement cubain agisse contre les tentatives de déstabilisation par ce petit groupe. Nous devons, plus que jamais, œuvrer pour l'unité et la stabilité.

Les manifestations qui ont eu lieu à Cuba cet été ont rapidement été présentées par les médias occidentaux comme un « soulèvement contre le régime », alors qu'il s'agissait principalement de personnes exprimant leur mécontentement face aux nombreuses coupures d'électricité, ou parce qu'elles souhaitaient obtenir de toute urgence un vaccin contre le coronavirus. Une grande partie des problèmes quotidiens de la population sont dus au blocus imposé par les États-Unis à l’encontre de Cuba. La stratégie consiste à pousser la population au désespoir et à déstabiliser Cuba de l'intérieur, en montant une révolte contre le gouvernement. Si le président étasunien Joe Biden se préoccupait vraiment du peuple cubain, comme il le prétend, il aurait levé le blocus depuis longtemps.

Quelle est la situation actuelle à Cuba ?

Norma. Le calme est revenu. La campagne de vaccination progresse bien. D'ici la fin décembre, nous voulons que 90 % de la population cubaine soit vaccinée avec notre propre vaccin. En novembre, nous rouvrirons nos frontières aux touristes. C'est essentiel pour la reprise de notre économie.

Ne soyons pas naïfs : les opposants au gouvernement cubain sont tout sauf inactifs. En juillet, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté un projet de loi autorisant le département d'État à dépenser 20 millions de dollars censés promouvoir la « démocratie » à Cuba d'ici 2022. Je pense que cet argent va servir à financer le même type de fakenews que celles qui ont été diffusées par rapport aux manifestations de cet été. 

Vous avez travaillé comme ambassadrice de Cuba auprès de l'Union européenne. Comment voyez-vous les relations entre les deux ?

Norma. Vous devez savoir que les États-Unis ne se contentent pas d'imposer un blocus à Cuba. Ils ont également engagé des procédures judiciaires contre 13 entreprises de l'Union européenne. Celles-ci doivent continuer à s'y opposer. Ce n'est pas aux États-Unis de faire la leçon à l'Union européenne. Il existe d'ailleurs de nombreuses possibilités de coopération entre Cuba et l'Union européenne, dans le domaine de la biopharmacie, de la recherche et l’innovation, ou de la lutte pour une révolution climatique, qui seraient porteuses pour l'une et l'autre.