Le Coronavirus dans les prisons : l’engagement et la solidarité à l’intérieur contraste avec l’(in)action du gouvernement

Besoin de matériel de protection et de tests, conditions de vie dégradées, surpopulation irresponsable dans ces circonstances… La période est difficile pour tout le monde, y compris dans les prisons. Comme souvent, c’est un secteur particulièrement oublié qui n’a pu compter jusqu’ici que sur l’engagement et la solidarité du personnel, mais aussi d’une partie des détenus. « Il est temps que des mesures soient prises pour soutenir les prisons », explique Nabil Boukili, député PTB.

Une bombe à retardement…

Si l’épidémie devait commencer à se répandre largement dans une prison, nous n’avons pas de plan aujourd’hui pour faire face

Si aujourd’hui le nombre de contaminations connues est bas (41 agents et 9 détenus confirmés, dont 4 à Turnhout), les prisons belges surpeuplées constituent une bombe à retardement. Si le virus commence à se répandre dans l’univers carcéral, qui est par définition un univers fermé, cela peut mener rapidement à des situations très problématiques. Il est facile d’imaginer les conséquences, lorsque des cellules prévues pour deux personnes sont actuellement occupées par quatre ou cinq détenus, d’autant plus que les restrictions budgétaires imposées par le gouvernement se font sentir aussi au niveau du personnel en sous-effectif et déjà largement épuisé.

« Si l’épidémie devait commencer à se répandre largement dans une prison, nous n’avons pas de plan aujourd’hui pour faire face », témoignent plusieurs travailleurs.

… sous-estimée également par le gouvernement

Comme pour les maisons de repos, des mesures ont été prises rapidement avec la suppression des visites et de nombreuses activités, le sport ou la bibliothèque par exemple. Les détenus en sont durement touchés dans leur quotidien, ce qui rend du même coup la tâche plus difficile pour le personnel.

Pourtant, comme dans les maisons de repos, ce n’est pas une garantie contre la diffusion du virus, car les contacts continuent d’avoir lieu avec le monde extérieur, via les nouveaux détenus ou le personnel. Or, dans les prisons, il est très difficile, voire impossible, de respecter les règles de distanciation sociale dans toute une série de cas. « En fait, nous faisons partie du personnel soignant », explique une agent pénitentiaire, « mais tout comme pour le reste du personnel soignant, le gouvernement ne nous a donné ni le matériel suffisant pour nous protéger (gants, masques, savon, gel hydroalcoolique, etc.), ni les bonnes consignes. Nous avons dû nous débrouiller depuis le début. Ce sont les détenus qui ont cousu eux-mêmes les masques que nous avons fini par recevoir. »

Alors que la situation est potentiellement explosive, les travailleurs pointent l’absence de tests, comme dans beaucoup de secteurs. « Quand un détenu est testé positif, on ne teste pas les co-détenus qui ont été en contact rapproché avec lui tant qu’ils n’ont pas de fièvre ou de problèmes respiratoires. C’est irresponsable, surtout quand on connaît le nombre de gens infectés qui ne développent pas les symptômes », raconte un agent.

Conséquence ? Le personnel œuvre dans l’angoisse. Un travailleur témoigne : « Chaque fois que je vais au travail, j’y vais avec la peur au ventre, j’ai l’impression de rentrer dans la cage aux lions. Mais je continue de le faire pour les détenus, qui sont dans une situation encore plus difficile. »

L’engagement et la solidarité comme réponses

Dans beaucoup de prisons, le personnel, souvent en bonne entente avec les détenus, ainsi que les directions locales, ont pris eux-mêmes les choses en main et ont mis en place un certain nombre de procédures préventives pour limiter la contamination.

Etant donné ces conditions, des incidents ont éclaté dans plusieurs établissements, puisque les détenus y subissent des conditions de vie très difficiles. Mais on a vu aussi beaucoup de solidarité, qui s’est exprimée non seulement dans la fabrication des 15.000 masques nécessaires pour protéger tous les gens qui fréquentent les prisons, mais aussi dans la confection de grandes banderoles par les détenus d’Anvers pour remercier et soutenir le personnel soignant et leurs gardiens. « I love de cipiers » (« j’aime les gardiens »), est-il écrit sur l’une d’elle, pour remercier ces travailleurs souvent oubliés qui doivent pourtant continuer à travailler chaque jour dans des conditions difficiles (voir photos).

Il faut agir !

En commission de la Justice le 8 avril dernier, le député Nabil Boukili a interpellé le ministre Koen Geens (CD&V) : celui-ci a expliqué que le situation était globalement bonne et qu’il ne comptait pas augmenter le nombre de tests effectués.

Nous avons maintenant besoin d'un plan pour arrêter la propagation du COVID-19 dans nos prisons, un plan d'action urgent qui doit éviter les scénarios de catastrophe

Les députés du PTB Nabil Boukili et Gaby Colebunders ne sont pas satisfaits de la réponse : « Nous avons maintenant besoin d'un plan pour arrêter la propagation du COVID-19 dans nos prisons, un plan d'action urgent qui doit éviter les scénarios de catastrophe », ont-il expliqué. « Le gouvernement doit tester, tester et tester et isoler les personnes infectées. Il y a un besoin urgent de plus d'équipements de protection. Le ministre Geens doit travailler sur un plan pour faire face à d'éventuelles pénuries de personnel causées par des maladies. Les centres de soins résidentiels demandent un soutien infirmier supplémentaire. Nous devons examiner si cela est également nécessaire pour les prisons avant que la situation ne devienne incontrôlable. Le PTB a interpellé le ministre Geens pour faire des propositions, mais les syndicats font savoir depuis longtemps qu'il faut avancer. Le navire doit maintenant changer de cap, sinon cela risque de mal se terminer ».