Les magistrats se mobilisent : « Depuis des décennies, les investissements dans la Justice sont inexistants »

Mardi 7 juin, les magistrats et autres acteurs de la Justice mèneront des actions dans tout le pays. Ils veulent montrer une fois de plus qu’ils sont mécontents du fonctionnement actuel de la Justice et de la politique d’austérité du ministre Koen Geens (CD&V). Rencontre avec Jan Geysen, président de l’Association néerlandophone des magistrats.

Le 20 mars 2015 déjà, des représentants de tous les acteurs de la Justice – et de toutes les Régions du pays – s’étaient rassemblés au palais de justice de Bruxelles pour une « Journée d’alerte ». Jan Geysen, président de l’Association néerlandophone des magistrats, y avait prononcé un discours : « Aujourd’hui, tous les acteurs de la Justice prennent la défense des plaignants qui déplorent parfois des lenteurs de cette Justice, alors que tous les services mettent pourtant tout en œuvre pour faire avancer les choses. (...) La Justice est l’un des piliers de la démocratie. Sans veiller à un fonctionnement convenable et correct des tribunaux, le citoyen et ses droits restent sur la touche. Le citoyen à droit à un fonctionnement bien huilé et correct des tribunaux, des cours, des parquets et des auditorats du travail, où la qualité puisse continuer à être garantie. (...) Il n’est ni moins cinq, ni moins deux, il est midi pile. Le temps est venu d’agir, désormais, et de prendre les bonnes décisions budgétaires. » Nous en étions là en 2015.

Des piles de dossiers en attente

« Aujourd’hui, plus d’un an plus tard, la situation n’a fait que s’aggraver », nous explique Jan Geysen. « Des nominations à la Justice sont reportées, on économise sur les investissements en informatique, sur les moyens de travail et sur le personnel. Il y a toujours un manque dramatique de personnel. Cela vient entre autres du fait que les gens sont insuffisamment motivés pour venir travailler à la Justice. Quand on veut recruter du personnel, contractuel ou statutaire, cela requiert énormément de temps avant que la procédure de nomination s’accomplisse ou que les accords contractuels soient signés. Cela démotive les gens. Parfois, il faut presque un an avant qu’une personne puisse effectivement commencer à travailler. Nous avons tellement besoin de gens qui veulent continuer à travailler à la Justice. Nous assistons également à un énorme va-et-vient. On déplace des gens d’un tribunal à l’autre, d’un greffe à l’autre, d’un parquet à l’autre. On forme les gens et, ensuite, on les mute. Personne n’en tire vraiment avantage. » 

Trop peu de personnel signifie des piles de dossiers en attente. Cela se traduit par du mécontentement chez les personnes désireuses de faire appel à la justice. « Si les gens vont au tribunal, ils désirent naturellement que leur affaire soit traitée le plus rapidement possible. Et l’on se heurte alors à un manque de personnel. Nous entendons défendre un bon accompagnement en justice. Cela veut dire que nous voulons des moyens suffisants pour pouvoir traiter davantage de dossiers sur base annuelle. »

De nouveaux seuils

Une autre revendication des magistrats est que la Justice doit être accessible à tous. Cela doit être garanti par le maintien d’une justice de proximité et d’une réévaluation réelle de l’aide juridique. D’après Jan Geysen, on ne fait que relever les seuils actuellement : « Pour commencer, il y a l’augmentation de la TVA. Les particuliers doivent payer 21 % de TVA sur les frais d’avocat. Puis il y a aussi la réforme de l’aide juridique de deuxième ligne – le pro deo. Le budget prévu ici n’augmente pas, l’accès au système est rendu plus difficile en raison entre autres d’un frein financier. De même, les droits de greffe ont augmenté eux aussi. » 

Les magistrats ont également introduit auprès du ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), un plan alternatif pour une nouvelle autonomie de gestion et qui devrait pouvoir devenir opérationnel dans les trois ans. « Nous espérons que le ministre comprendra que cette proposition peut entraîner un nouveau changement de cap dans le fonctionnement de la Justice. »

Il est temps d’investir

« Ce n’est sûrement pas la première fois que nous descendons dans la rue », déclare Jan Geysen. « Et nous-mêmes aussi, nous avons déjà apporté de nombreuses mesures d’économies et d’efficience, dont bon nombre, entre-temps, sont déjà en vigueur. Nous estimons que c’est une bonne chose. Mais, aujourd’hui, il est temps d’investir. Seulement, on ne voit rien venir. On se terre en permanence derrière l’accord de gouvernement : les mesures d’économies linéaires valent pour tous et, partant, pour la Justice aussi. Mais cela fait des décennies que les investissements dans la Justice sont insuffisants. Il est grand temps que nous arrivions au niveau des Pays-Bas, de l’Allemagne et du Luxembourg et que nous ne restions pas au niveau des autres petits pays européens. »

Dans son discours lors de la “Journée d’alerte”, l’an dernier, Jan Geysen disait qu’en 1998 déjà, la justice était sous-financée de 33 %. Aujourd’hui, en 2016, il convient de nouveau de tirer le signal d’alarme. « Le soleil de la justice est déjà occulté à quatre cinquièmes, aujourd’hui. Nous fronçons les yeux en regardant l’éclipse totale de soleil. C’est au politique de modifier ce cap. Sinon, la justice – et, avec elle, toute la société – peut se préparer à des jours sombres. Ceux qui refusent de le voir nient la lumière du soleil et enterrent l’un des fondements de l’État de droit. C’est une responsabilité écrasante. »