Les quartiers populaires de Madrid mobilisés pour la santé et la dignité face à un « confinement de classe »

Alors que l’Espagne connaît une situation sanitaire très inquiétante, la région de Madrid, dirigée par la droite conservatrice, a décidé de confiner 850 000 habitants du sud de la ville, là où se situent les quartiers populaires. Un confinement qui frappe donc spécifiquement des quartiers de travailleurs et travailleuses. Mais ceux-ci ne se laissent pas faire. Entretien avec Quique Villalobos, président de la Fédération des associations de quartiers de Madrid.

Le gouvernement régional nous « autorise » à aller travailler, mais nous interdit de sortir de chez nous, même pour aller faire un tour au parc avec les enfants

L’Espagne est l’un des pays européens où la situation sanitaire est la plus inquiétante. Le nombre de contaminations repart en flèche. Et c’est à Madrid, sa capitale, que la situation est la plus préoccupante. Isabel Díaz Ayuso, présidente de la région madrilène, (PP, droite conservatrice) a justifié ce récent confinement sélectif en déclarant que c’est « le mode de vie des immigrés » qui favorise la propagation du virus. Une large et légitime colère populaire s’est emparé de ces quartiers : contre les mesures discriminatoires et pour réclamer plus de moyens pour la santé.

Que pensez-vous de cette mesure ?

Quique Villalobos. La mesure est absurde. Ayuso nous « autorise » à aller travailler, mais nous interdit de sortir de chez nous, même pour aller faire un tour au parc avec les enfants. Il y a très peu de travail dans les quartiers du Sud de la ville, qui sont des cités dortoirs. Il y a peu d’habitants qui ne doivent pas s’entasser pendant 45 minutes dans des métros bondés avant de rejoindre leur poste de travail. Qui plus est, les habitants du Sud exercent beaucoup des métiers qui sont davantage exposés au virus : serveur ou cuisinier dans les restaurants, femmes et hommes de ménage, infirmières, chauffeurs, etc. C’est au travail et dans le métro que le risque est le plus élevé de s’infecter, et certainement pas en passant une heure ou deux le soir dans un parc, à l’air libre, à jouer avec les enfants ou à discuter avec les copains. 

La mesure n’a pas du tout été bien accueillie… 

Quique Villalobos. C’est l’injustice profonde de cette mesure qui a choqué et révolté les habitants des quartiers Sud de Madrid. Ayuso critique notre « mode de vie », mais ce sont nos « conditions de vie » qui nous exposent au virus ! Nous vivons dans des quartiers densément peuplés, quelques fois proches des décharges de déchet ou de stations d’eaux usées. Franchement, on se serait sentis moins insultés si elle nous avait confiné complètement. Ici on est confinés pour tout, sauf pour aller travailler.

Cette discrimination envers les classes populaires est-elle nouvelle ? 

Qui s’est mobilisé pour aider les travailleurs ? Pas le gouvernement de Madrid. Ni l’extrême droite du parti Vox. Non, ce sont les associations de quartier

Quique Villalobos. Le mécontentement populaire est vraiment profond. Les habitants du Sud de Madrid ont souffert plus que d’autres lors la période de confinement au printemps. D’une part, parce que nos quartiers hébergent une grande partie des travailleurs des secteurs essentiels qui ont continué à travailler au plus fort de l’épidémie, mais aussi parce que de nombreux habitants, souvent immigrés, travaillent dans l’économie informelle. Ils se sont retrouvés du jour au lendemain sans job et sans avoir de quoi se nourrir. 

À l’époque, les travailleurs du Sud de Madrid se sont sentis complètement abandonnés. C’est à ce moment-là que se sont formées dans nos quartiers les tristement célèbres « files de la faim ». Qui s’est mobilisé pour leur prêter assistance ? Pas le gouvernement de Madrid. Ni l’extrême droite du parti Vox, qui tente de récupérer le mécontentement légitime des travailleurs. Non, ce sont les associations de quartier qui ont organisé les collectes et les répartitions de produits de première nécessité. C’est nous qui étions en première ligne. C’est pour cela que les habitants se tournent aujourd’hui naturellement vers nous pour réagir suite aux nouvelles mesures prises par Ayuso.

Quelles sont les revendications des gens dans ces quartiers ?

Après la crise financière de 2008, qui a durement touché l’Espagne, le gouvernement de droite qui dirige la région de Madrid a fortement réduit ses dépenses en soins de santé et dans les homes pour personnes âgées

Quique Villalobos. Ce que reprochent les travailleurs à nouveau confinés, hormis l’injustice de la décision de ne les confiner qu’eux-seuls, c’est que Mme Ayuso ne prenne aucune mesure pour freiner cette deuxième vague. Elle n’a rien fait et préfère culpabiliser et punir les travailleurs du Sud de Madrid plutôt que de prendre ses responsabilités. Qui plus est, confiner uniquement nos quartiers n’a aucun sens. La circulation du virus est hors de contrôle dans toute la région de Madrid. 

Dans notre « manifeste pour la dignité du sud face à la deuxième vague » publié la semaine passée, la Fédération des associations de quartiers de Madrid (FRAVM) demande que des capacités de testing supplémentaires soient mises à disposition, que des « points Covid » soient installés dans les quartiers et qu’ils soient uniquement dédiés au testing pour désengorger les centres de santé qui sont déjà débordés. On demande aussi au gouvernement d’Ayuso qu’il engage du personnel supplémentaire pour assurer l’indispensable suivi des contacts et du personnel additionnel pour le système de soins de santé publics. Ils sont en sous-effectif chronique et ils sont épuisés. On demande aussi d’intensifier toutes les prestations sociales car les besoins explosent.

Il faut savoir que la santé est une compétence régionale en Espagne. Après la crise financière de 2008, qui a durement touché l’Espagne, le gouvernement de droite qui dirige la région de Madrid (Partido Popular (PP) et Ciudadanos) a fortement réduit ses dépenses en soins de santé et dans les homes pour personnes âgées. Le secteur privé a pris la relève, avec ses impératifs de profit qui excluent de facto ceux qui n’ont pas beaucoup de ressources financières. La faiblesse du système de santé a été chèrement payée par les Madrilènes lors de la première vague du Covid.

Concrètement, comment s’organisent les protestations face à ces mesures ?

Nous avons appelé les associations de quartier à manifester devant le centre de santé de leur quartier. 52 rassemblements ont eu lieu ! 

Quique Villalobos. Face à cette situation inacceptable, la FRAVM a appelé les habitants des quartiers touchés (qui ont interdiction de quitter les limites du quartier où ils vivent) à se rassembler dimanche 20 septembre, veille de l’entrée en vigueur du confinement. Ce n’était pas difficile, étant donné le degré d’indignation des travailleurs face aux nouvelles mesures d’Ayuso. Certains ce sont préalablement rassemblés dans les locaux de nos associations de quartier pour fabriquer les calicots, d’autres les ont bricolés chez eux sur un bout de carton : « Santé publique », « Ayuso démission », « nous ne sommes pas des lépreux », « Moins de drapeaux, plus d’infirmières », pouvait-on lire sur les pancartes. Des milliers de personnes se sont rassemblées dans de nombreux quartiers pour protester contre cette mesure injuste.

Malgré le confinement imposé depuis lundi 21 septembre, nous avons continué à mobiliser, à travers nos multiples assemblées sur Zoom, sur nos messageries Whatsapp, mais surtout sur les réseaux sociaux. Nous avons appelé les associations de quartier à manifester devant le centre de santé de leur quartier. 52 rassemblements ont eu lieu ! À l’issue de l’un d’entre eux, la police a violemment réprimé les manifestants, certains d’entre eux ont été arrêtés. Mais tous les autres se sont déroulés dans le calme. (NdlR : ces violences policières ont été condamnées fermement, entre autre par Enrique Santiago, député d’Izquierda Unida et secrétaire général du PCE.)

Et maintenant ?

Quique Villalobos. Les mobilisations vont se poursuivre dans les jours à venir. Ce dimanche (27 septembre) des « casserolades » ont eu lieu sur les balcons des appartements confinés. Et pour dimanche prochain, la FRAVM est en train de se coordonner avec les écoles, l’UNICEF et d’autres associations actives avec les enfants, pour mener une action de protestation contre l’interdiction d’aller dans les parcs.

Le bras de fer entre les quartiers populaires et la Présidente de Madrid Ayuso est loin d’être fini. Les travailleurs et les classes populaires de Madrid ont relevé la tête et exigent d’être traités dignement, et non plus comme citoyens de deuxième classe.