Naomi Klein : « Obama fait un pas dans la bonne direction et cinq dans la mauvaise »

Début août, le président américain Obama a annoncé son plan pour le climat. « Nous n’avons qu’une seule planète et pas de plan B », a-t-il déclaré, semblant déterminé. « Too little, too late » (trop peu et trop tard), ont répondu de nombreux commentateurs. La célèbre auteure et militante climatique explique dans une interview pourquoi Obama ne mérite en réalité pas d’être qualifié de dirigeant climatique digne de ce nom.

Lundi 3 août, Obama a détaillé les mesures de son plan climatique, annoncé déjà depuis 2008. A quelques mois du sommet de Paris (COP21), prévu pour novembre 2015, Obama voudrait « montrer l’exemple » en engageant les États-Unis dans un plan de réduction des émissions de CO₂ de 30 % d’ici à 2030, dans le secteur de l’énergie électrique et par rapport à 2005. « Il y a un fossé énorme entre les déclarations d’Obama et la réalité des mesures qui sont tout simplement inadéquates », dénonce Naomi Klein dans une interview réalisée dans l’émission américaine Democracy Now! (mardi 4 août).

Retrouvez ci-dessous la retranscription de l’interview, que vous pouvez également voir en vidéo en anglais ici.

Nermeen Shaikh. Naomi, bienvenue. Tout d’abord, votre évaluation du plan du président Obama qu’il a dévoilé hier à la Maison blanche ?

Naomi Klein. Bonjour, Amy. C’est un plaisir d’être ici avec vous et Nermeen.

Eh bien, je pense que ce que nous voyons d’Obama est vraiment un bon exemple de ce à quoi ressemble un dirigeant en matière de climat. Vous savez, tout ce qu’il dit est absolument vrai sur le niveau de la menace, sur le fait que ce n’est pas une menace pour les générations futures, mais que c’est une menace qui est en train de se développer et d’agir à l’instant présent, dans le monde entier y compris les États-Unis. C’est une menace qui concerne la santé quotidienne des gens, avec des niveaux d’asthme, et aussi sur la sécurité de villes entières, d’immenses villes côtières. Donc il fait un très bon boulot en nous montrant à quoi ressemble un ‘climate leader’. Mais je crains que nous ayons encore une très longue route à faire avant de voir comment un dirigeant concerné par le climat agit réellement, parce qu’il y a un fossé énorme entre ce qu’Obama dit à propos de cette menace, sur le fait qu’elle est la plus grande menace de notre temps, et que c’est effectivement notre dernière ouverture pour agir, pour empêcher un changement climatique véritablement catastrophique ; mais les mesures qui ont été dévoilées sont simplement inadéquates.

Pour rester au-dessous de ces deux degrés, nous devrions réduire les émissions d’environ 8 à 10 % par an.

En effet, il faut regarder quelle sorte de réductions d’émissions ceci va amener – vous savez, quand on parle de réductions d’émissions, on ne doit pas prendre en compte juste un seul secteur, pas juste la production d’électricité, il faut aussi regarder l’économie comme un tout. Et ce que les scientifiques du climat nous disent, c’est que si des pays relativement riches, comme les Etats-Unis, restent à l’intérieur de leur budget CO₂ et se donnent ainsi une chance de maintenir le réchauffement au-dessous de deux degrés Celsius, c’est déjà très dangereux. Mais c’est ce que les Etats-Unis ont négocié sous Obama – à Copenhague en 2009, les dirigeants ont accepté de maintenir les températures au-dessous des deux degrés de réchauffement, mais, dans les faits, nous allons toujours vers environ quatre degrés. Pour rester au-dessous de ces deux degrés, nous devrions réduire les émissions d’environ 8 à 10 % par an. Ce sont les chiffres du Tyndall Centre on Climate Research à Manchester. Et ce plan [d'Obama] réduirait les émissions aux Etats-Unis d’environ 6 % partout – je ne parle pas seulement du secteur de l’énergie [électrique] – d’ici 2030. Donc, comparez ce que nous devrions faire – 8 à 10 % par an – avec 6 % d’ici 2030. C’est l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction d’émissions, et c’est énorme.

Nermeen Shaikh. Et donc, Naomi Klein, à votre avis, pourquoi le président Obama a-t-il choisi de se focaliser sur le secteur de l’énergie et non sur d’autres secteurs tout aussi importants ?

Naomi Klein. Eh bien, comme il dit, c’est un secteur incroyablement important. C’est juste que nous devons agir sur le tout. Et je pense que ceci doit être considéré comme une victoire pour les mouvements sociaux de terrain qui ont combattu des sites de charbon polluants chez eux, et du charbon propre – la campagne que le Sierra Club mène maintenant depuis des années pour fermer des centaines de sites de charbon. C’est, je pense, une victoire de la base. Cette phase-ci du plan est en effet meilleure que la version précédente pour certains aspects. Il constitue moins un cadeau au secteur du gaz naturel, et il soutient davantage les énergies renouvelables. Il comprend aussi plus de soutien pour les communautés à bas revenus en matière d’énergie. C’est inadéquat, mais c’est quand même déjà mieux que la version précédente, à cause de la pression de l’industrie et des États qui sont très dépendants du charbon.

Nous pourrions atteindre les 100 % de renouvelable en deux décennies.

Vous savez, le problème n’est pas que le plan est mauvais en soi. Si ceci était annoncé dans la première année de mandat d’Obama, je serais la première a fêter ça et à dire « OK, formidable. Maintenant, instaurons une taxe sur les émissions de CO₂. Arrêtons d’autoriser l’exploitation de terrains publics pour l’extraction de pétrole, de gaz et de charbon. Réalisons le reste du package. Faisons d’énormes investissements dans les transports publics, et on sera vraiment sur la bonne voie ». Mais, à la fin de ses deux mandats ou près de la fin, vous savez, franchement, ceci n’achète pas un héritage climatique. Ce n’est pas suffisant, parce que ce n’est pas en accord avec les exigences scientifiques, ni technologiques. L’équipe de Mark Jacobson à l’Université de Stanford nous démontre que nous pourrions atteindre les 100 % de renouvelable, faire tourner toute notre économie avec du renouvelable en deux décennies. Donc, si les scientifiques nous disent que nous devons faire ça, et que les ingénieurs nous disent que nous pouvons le faire, le problème est alors un manque de volonté des politiciens pour instaurer les politiques audacieuses qui vont le réaliser. Et c’est encore et toujours ce dont nous manquons.

Amy Goodman. Naomi Klein, lors de son discours lundi, le président Obama a aussi parlé de sa visite en Arctique à la fin du mois.

Président Barack Obama : Je serai aussi le premier président américain à visiter l’Alaska arctique, là où nos compatriotes américains ont déjà vu leurs communautés dévastées par la fonte des glaces, la montée des océans et l’impact sur la vie marine. Nous allons parler de ce dont le monde a besoin que nous fassions ensemble pour empêcher les pires impacts du changement climatique avant qu’il soit trop tard.

Amy Goodman. C’est ce qu’a dit la président Obama. Pouvez-vous parler de ce qui se passe en Arctique, de l’activisme qui s’y déroule, à Portland, Oregon, à Seattle, Washington, pour empêcher ce que le président Obama a autorisé – les forages en Arctique ?

Obama a ouvert l’Arctique aux forages pour la première fois

Naomi Klein. Eh bien, c’est en fait extraordinaire qu’il annonce cela maintenant, parce que ce dont le monde a besoin pour sauver l’Arctique, pour commencer, c’est de déclarer un moratoire sur les forages en Arctique. Et les Etats-Unis pourraient prendre le leadership dans cet effort, en réunissant toutes les nations de l’Arctique pour déclarer la région intouchable, zone protégée. Et parce que ce leadership n’est pas là, et parce qu’effectivement Obama a ouvert l’Arctique aux forages pour la première fois – nous savons que Shell a, à l’instant présent, des plateformes pétrolières et qu’ils ont commencé les toutes premières phases préliminaires de forage mardi – et parce que son administration a échoué à prendre des mesures sur une question aussi fondamentale, je veux dire, Amy, c’est la définition même de l’absurdité, il me semble, de faire des forages en Arctique pour du pétrole qu’on ne peut extraire que parce que la glace de l’Arctique est en train de fondre et que donc la zone est accessible et que les bateaux peuvent désormais y aller dans ce but.

Le CEO de Shell a expliqué il y a quelques jours qu’ils pensent trouver sous cette glace en train de fondre des réserves de pétrole même plus importantes que celles du Golfe du Mexique. Il a décrit cela comme un « jeu » énorme mais, plus significatif, il l’a décrit comme un « jeu à long terme ». C’est consternant, vous savez, que l’industrie pétrolière et gazière décrive tout cela en termes de « jeu », parce qu’il ne s’agit bien évidemment pas d’un jeu, mais c’est le mot qu’ils emploient. Et il dit qu’ils ne s’attendent pas à ce que la production commence avant 2030. C’est vraiment frappant, parce que d’ici 2030 nous devrions véritablement réduire notre dépendance aux  infrastructures pétrolières et gazières existantes, et non l’augmenter et ouvrir des frontières à de nouvelles extractions fossiles.

Quand vous faites un pas dans la bonne direction et cinq pas dans la mauvaise, vous allez dans la mauvaise direction

Et donc, c’est ce que je veux dire à propos du fait qu’Obama ne mérite pas d’être qualifié de dirigeant climatique digne de ce nom, simplement parce qu’il a élaboré ce qui est un assez bon plan pour réduire les émissions des centrales à charbon. Je ne dis pas que ce n’est pas important. C’est un pas dans la bonne direction. Mais, en même temps, il fait aussi des pas importants dans la mauvaise direction avec les forages en Arctique – et, vous savez, il a supervisé une explosion dans une fracturation hydraulique pour du gaz de schiste. Et il est toujours en train de tergiverser sur le pipe-line Keystone XL (immense oléoduc entre le Canada et les Etats-Unis, NdlR). Il a ouvert de nouvelles concessions pétrolières et gazières offshore. Donc, quand vous faites un pas dans la bonne direction et cinq pas dans la mauvaise, vous allez dans la mauvaise direction, et pas dans la bonne. Et nous devons être honnêtes à ce sujet, malgré le fait qu’il soit actuellement fortement attaqué par le lobby du charbon.

Amy Goodman. Et à propos de ces activistes qui ont essayé d’empêcher les forages…

Naomi Klein. Oui.

Amy Goodman. … pour lesquels l’administration Obama a délivré des autorisations. De quoi s’agissait-il ? Il y a eu quarante personnes…

Naomi Klein. Oui, à Portland.

Amy Goodman. … quarante personnes qui se sont suspendues à au pont, et des « kayaktivistes » se sont rassemblés en dessous (des militants écologistes de Greenpeace se sont suspendus à un pont de Portland pour tenter de bloquer le passage d'un bateau destiné à des forages en Alaska, NdlR). Pouvez-vous dire comment il se fait qu’il peut annoncer qu’il va aller en Arctique, en même temps que les activistes sont tous poursuivis pour leur action ?

Les [vrais] dirigeants pour le climat sont des jeunes de 21 ans qui ont essayé d’arrêter les forages en Arctique.

Naomi Klein. Eh bien, vous savez, franchement, si nous voulons trouver de vrais dirigeants pour climat, ce sont ceux qui sont descendus en rappel sous ce pont à Portland. Les dirigeants pour le climat, sont les gens qui ont emmené leurs kayaks jusqu’à Portland et à Seattle, vous savez, des jeunes de 21 ans qui ont essayé d’arrêter les forages en Arctique avec leur propre corps, tellement ils estiment cela important. Ils sont restés sur et sous ce pont pendant 40 heures pour bloquer le brise-glace de Shell, et ils ont fait cela malgré le fait que Shell était allé en justice, qu’ils avaient reçu une injonction du tribunal et étaient menacés d’amendes énormes. Ça, c’est du vrai leadership. C’est de l’action réelle, morale, de faire face à d’immenses quantités d’argent de et pouvoir et à la loi du plus fort.

Et nous avons vu cela partout dans le Nord-Ouest du Pacifique. C’est une des ironies de l’ère extrême de l’énergie que nous avons vécue dans environ cette dernière décennie, où l’Amérique du Nord a été en plein centre de cette folie extrême de l’énergie, avec la fracturation hydraulique pour le gaz de schiste, la décapitation de sommets de montagnes et les sables bitumeux. Pour extraire tout ça, les compagnies de pétrole, de gaz et de charbon doivent construire toutes sortes de nouvelles infrastructures dans le Nord-Ouest du Pacifique, qui est la partie des États-Unis qui est probablement la plus consciente au plan de l’environnement, et même militante. C’est là où les ‘tree sits’ ont commencé (action lors laquelle des militants s’installent sur de petites plateformes dans les arbres pour empêcher l’abattage de ceux-ci, NdlR). Vous savez, on pense à Portland quand on pense à l’histoire de l’activisme anti-abattage. Dans cette partie du monde, il y a beaucoup de gens qui ont une longue histoire dans ce type d’activisme. Et Shell, juste au plan logistique, pour aller en Arctique, doit utiliser divers ports du Nord-Ouest du Pacifique comme parking pour sa machinerie et aussi effectuer des réparations. Et, vous savez, le Nord-Ouest du Pacifique les a accueillis de manière très, très, très hostile et leur a clairement signifié qu’ils ne voulaient pas être une porte pour leur action, franchement suicidaire, de forage en Arctique.

Amy Goodman. Juste pour être claire et expliquer ce qu’on fait les activistes : les militants de Greenpeace ont passé 40 heures suspendus à un pont pour empêcher le brise-glace de Shell de partir pour l’Arctique, et des centaines d’activistes se sont rassemblés sur des kayaks pour tenter d’empêcher Shell de forer dans la lointaine Mer de Chukchi (mer à la pointe nord-ouest du continent américain, NdlT). Il ont temporairement arrêté le bateau…

Naomi Klein. Oui.

Amy Goodman. … mais ensuite, finalement, le bateau a réussi à passer et il navigue actuellement vers l’Arctique.

Naomi Klein. Ils ont bloqué le bateau pendant 40 heures. Vous savez, je pense parfois que cela peut être considéré comme une sorte d’action de cascadeurs ou comme une action symbolique, mais ce n’est vraiment pas le cas. Hier, j’ai parlé avec Annie Leonard, la directrice exécutive de Greenpeace, et ce qui est vraiment signifiant dans toute ceci, c’est qu’il n’y a qu’une très petite « fenêtre » durant laquelle il est possible pour Shell d’aller là-bas, parce que la période où il y a suffisamment peu de glace en Arctique ne dure que quelques mois. Ils n’ont que jusque fin septembre. Donc, chaque jour où ils sont retardés est un jour de moins pour rechercher ces gisements qu’ils veulent et change la donne. C’est donc bien plus que de l’activisme symbolique. Tout ce qui les ralentit a vraiment une grande importance. Et ces gens sont vraiment des héros.

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