Salah Hamouri : « Les changements de pouvoir à lʼéchelle mondiale servent la cause palestinienne »

Salah Hamouri a 38 ans. Dont 10 passés en prison. Cet avocat, figure de la résistance palestinienne, sera à ManiFiesta les 9 et 10 septembre prochains. Nous lʼavons rencontré pour discuter de la réalité du peuple palestinien et des moyens de lutter pour la libération de son pays.

Lʼavocat franco-palestinien était de passage à Bruxelles à lʼoccasion des 75 ans de la Nakba (« catastrophe »). Ce terme désigne les conséquences pour les Palestiniens de la défaite des armées arabes face aux troupes sionistes en 1948. « Aujourd’hui, je suis toujours un réfugié palestinien. Depuis 38 ans. La cause palestinienne est dans mon être depuis ma naissance et je continuerai mon engagement jusqu’à la libération de mon peuple. »

Quel a été votre parcours ?

Salah Hamouri. J’ai vécu la plus grande partie de ma vie à Jérusalem. Comme beaucoup de Palestiniens, j’ai connu très jeune le harcèlement et l’oppression des forces d’occupations israéliennes. Depuis l’âge de 15 ans, j’ai une balle dans la jambe et à 16 ans j’ai connu mon premier emprisonnement.

Aujourd’hui, j’ai 38 ans et j’ai déjà passé 10 ans dans les prisons israéliennes. Ma femme a été expulsée et bannie du territoire palestinien par Israël depuis 2016. Nous connaissons une vie de harcèlement par l’État israélien. Depuis décembre 2022, j’ai été déporté depuis ma cellule jusqu’en France par Israël.

Vous vivez sous la menace. Comment vivez-vous cette réalité de militant qu’on essaie de faire taire ?

Salah Hamouri. Cela fait des années que ça a commencé et ça nʼa jamais cessé. Même avant que je revienne en France, le ministre de l’Intérieur français a essayé de faire en sorte que personne ne puisse venir m’accueillir à l’aéroport. Ma famille a été mise sous pression et menacée. En France même, les députés de la droite et de l’extrême droite m’attaquent sur les réseaux sociaux régulièrement, même depuis l’Assemblée nationale.

Le préfet de Nancy a essayé d’annuler un événement ou j’étais invité mais mes avocats m’ont défendu. En France, on essaye régulièrement de m’interdire le droit à la parole. Le lobby sioniste a changé de tactique en passant aussi aux attaques physiques. A Paris, l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) se sont infiltrés dans une salle de conférence pour semer le chaos. A Toulouse, j’ai fait face à une opération organisée d’une trentaine de personnes dont une a essayé de m’attaquer physiquement mais il a échoué. Et à Bruxelles, il y a aussi eu des menaces envoyées à la salle qui organisait une conférence avec moi sur le sujet de la Nakba. C’est un déferlement de menaces qui n’ont pas cessé depuis 22 ans.

Les menaces dʼaujourd’hui sont-elles liées au fait qu’Israël a peur de la montée en Europe du mouvement de solidarité avec la Palestine ?

Salah Hamouri. Les autorités israéliennes ont peur parce qu’elles savent qu’elles ont tort. Cette occupation avec le soutien des forces impérialistes mondiales nʼest plus aussi forte quʼavant. On nʼest plus dans les années 1990 ou 2000 où on avait un seul bloc américain qui nous dictait notre façon de faire. Aujourd’hui, on est face à un monde qui change partout, un monde plus multipolaire. Et nous, Palestiniens, avons marqué des points importants que ce soit à Liège, Barcelone ou Oslo (villes ayant récemment suspendus ses relations avec Israël, NdlR). On veut avancer. Je ne suis qu’un petit morceau dans ce mouvement mais on est tous vraiment en train d’avancer et de faire peur aux dirigeants israéliens. On est en train de délégitimer l’occupant israélien en Europe. Israël est un État colonial et doit être traité en tant que tel.

La nouvelle génération en Europe est en train de se lever et de (re)mettre la question palestinienne sur la table. Avant, on avait un seul événement concernant la Nakba dans quelques villes. Maintenant, il y a des événements partout pour parler de la Nakba. C’est tout nouveau et cela veut dire quelque chose...

Si lʼhégémonie américaine faiblit et que les cartes sont rebattues à lʼéchelle mondiale, cela ouvre-t-il des opportunités nouvelles pour le peuple palestinien ?

Salah Hamouri. Pour nous, avoir un monde multipolaire fera avancer les choses, oui. On a vu la réconciliation irano-saoudienne initié par la Chine. Il y a 10 ans c’était inimaginable de voir la Chine jouer ce rôle qui a une répercussion dans toute la région, que ce soit au Liban, au Qatar et dans tout le Moyen-Orient. Les Américains ne sont évidemment pas d’accord avec cette démarche chinoise qui est historiquement la première de cette ampleur dans la région.

On peut le voir aussi au niveau de l’Amérique Latine où il y a de grands changements. Il y a énormément de solidarité au Brésil, au Chili, en Argentine envers la cause palestinienne. Avec les forces progressistes « historiques » mais aussi avec les changements positifs récents, on voit une vraie opportunité de renforcer la solidarité. Cʼest notre rôle.

Alors qu’en Europe, les gouvernements et les autorités ne soutiennent pas la Palestine. Au contraire. On sent qu’il y a vraiment une réticence en Europe, une mentalité d’un autre âge sur la cause palestinienne. On sait qu’il va falloir renforcer d’autres alliances dans le monde pour isoler les soutiens à Israël en Europe.

L’Europe continue de collaborer avec le nouveau gouvernement d’extrême droite Israélien. Comment réagir face à cela ?

Salah Hamouri. L’hypocrisie de l’Union européenne est totale. Elle annule la journée européenne à Tel-Aviv parce que le gouvernement Israélien a choisi Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale et figure de lʼextrême droite, pour le représenter. Symboliquement, c’est bien. Mais, de l’autre côté, l’UE annonce couper les subsides de l’Autorité Palestinienne parce qu’elle ne change pas son programme scolaire qui évoque l’histoire officielle de la Palestine... L’Union européenne veut nous imposer de ne pas parler de notre histoire dans l’éducation nationale palestinienne. Est-ce quʼelle accepterait qu’on impose aux Israéliens de ne pas parler de l’histoire d’Israël ? Bien sûr que non. Mais les relations entre l’Union européenne et Israël sont dictées par des intérêts économiques. Il y a quelques semaines, le chef de la gendarmerie française a demandé à l’unité antiterroriste israélienne, complice de plusieurs massacres en Palestine, de faire un partenariat pour les prochains Jeux olympiques de Paris. C’est honteux, il participe indirectement au système colonial Israélien. Les gouvernements européens ne sont pas sortis de leurs mentalités coloniales.

Il faut recadrer le débat en Europe. On aime bien ici parler simplement du gouvernement d’extrême droite Israélien pour l’accuser de tous les maux du pays comme s’il était tombé du ciel. Mais pour nous, l’occupation israélienne n’a jamais changé. Que ce soient des gouvernements de gauche ou de droite, l’oppression n’a pas diminué. Mais ce qui dérange maintenant, c’est qu’on ne peut plus parler de « la seule démocratie du Moyen-Orient » comme vernis de l’occupant israélien. Ce gouvernement, c’est le vrai visage d’Israël et ce gouvernement nous aide d’une certaine manière à le montrer à la face du monde. Les ministres dʼextrême droite du gouvernement israélien servent en partie la cause palestinienne vu qu’ils sont tellement radicaux. Le vrai visage de l’occupation se révèle enfin.

Il y a une jeunesse en lutte en Palestine qui se bat pour ses droits. Quelles sont ses perspectives ?

Salah Hamouri. Lors des massacres commis par lʼarmée israélienne à Gaza en 2021 en pleine période du Ramadan, on a vu se former un mouvement de lutte palestinien uni soutenu par une solidarité internationale forte. C’état la première fois depuis 40 ans qu’on a vu un mouvement aussi fort, aussi uni et qui a obligé Israël a reculer sur la destruction du quartier de Sheikh Jarrah (quartier palestinien de Jerusalem-Est). On avait vu des premiers épisodes en 2017 et 2018 mais moins organisé qu’en 2021. Lorsque le Premier ministre Netanyahou avait aussi décidé d’installer des portails à l’entrée de l’esplanade des mosquées, la résistance à Jérusalem a été immense pendant 22 jours dans les rues et Nethanyau a dû reculer devant la résistance des gens. Cette résistance grandit et devient plus forte ces dernières années. Je pense qu’on n’est pas loin d’un déclenchement d’un grand mouvement de résistance qui sera initié à Jérusalem.

Comment peut-on renforcer la lutte du peuple palestinien depuis lʼEurope ?

Salah Hamouri. La solidarité internationale a historiquement toujours joué un rôle important dans la lutte du peuple palestinien. Aujourd’hui, je pense qu’avec les changements mondiaux qui sont en train de se dérouler, il y a de plus en plus d’espace pour la solidarité internationale. Il faut l’organiser. Les exemples de Liège, de Barcelone, d’Oslo sont des bons exemples de ce combat à mener pour la solidarité internationale. Cette solidarité grandit partout. Il faut passer à l’attaque aujourd’hui et ne peut plus être dans une posture défensive. On s’est défendu assez, nous n’acceptons plus les attaques qui visent à nous discréditer comme antisémites ou terroristes. Nous ne le sommes évidemment pas. Nous luttons contre une force d’occupation. Ce n’est pas religieux, cela n’a rien à voir avec les musulmans, les juifs ou les chrétiens. Cʼest une lutte de libération nationale contre une armée d’occupation. Il faut délégitimer l’occupant partout où on peut.

ManiFiesta, la Fête de la Solidarité, a-t-elle elle aussi un rôle à jouer ?

Salah Hamouri. Oui ! C’est un endroit chaleureux pour les Palestiniens et la Palestine. Un endroit de solidarité. Un moment convivial où tous les gens se retrouvent autour des causes importantes de luttes et de solidarité. Ce sera ma deuxième participation, j’y étais il y a 10 ans déjà. C’est un honneur pour moi d’être ensemble pour la cause palestinienne, pour la solidarité internationale et pour les peuples en lutte dans le monde. On se revoit là bas !