« Travailler moins, aimer plus » : c’est sous ce titre que le Conseil des femmes a organisé une journée d’étude ce 2 juin à Bruxelles. Un des invités était Patrick Helgerson, conseiller communal du parti de gauche Vänsterpartiet à Göteborg, en Suède. Son parti a été, avec d’autres, à la base de l’expérience de la semaine de 30 heures dans une maison de repos et de soins de cette ville.
Pouvez-vous rappeler brièvement en quoi a consisté cette expérience ?
Patrick Helgerson. La Ville de Göteborg avait lancé un projet-pilote à la maison de repos et de soins de Svartedalen : le personnel soignant est passé de la semaine de 38 heures à la semaine de 30 heures pendant une durée de deux ans. La Ville y a consacré un budget de 1,3 million de couronnes (130 000 euros). Les résultats ont été comparés avec ceux d’une autre maison de repos où il n’y avait pas eu de réduction du temps de travail et avec ceux du personnel de la Ville.
Quand nous avons commencé, nous étions dans une coalition minoritaire de partis progressistes : nous-mêmes, les sociaux-démocrates, les verts et un parti féministe. Tous n’avaient pas le même enthousiasme pour instaurer la semaine de 30 heures au plan national. Mais le projet a suscité de plus en plus d’adhésion chez énormément de gens et d’organisations. Au départ, le syndicat local du secteur des soins ne s’est pas beaucoup impliqué dans ce projet mais, au fur et à mesure, il l’a totalement soutenu.
Ce n’était pas un choix évident. Ce projet a été lancé à un moment où la plupart des gouvernements européens imposaient l’austérité.
Patrick Helgerson. D’emblée, nous n’avons pas voulu nous arrêter à la crise ni aux arguments contre la réduction du temps de travail. Ceux-ci sont avancés en permanence : dans des temps économiquement favorables, les adversaires de la réduction du temps de travail brandissent le manque de main-d’œuvre, et dans des temps économiquement plus difficiles, ils invoquent le coût élevé que cela entraînerait. Notre motivation est partie des besoins de la Ville, du personnel et des gens dont nous nous occupons.
La santé du personnel de la Ville nous préoccupe. Le taux d’absence pour maladie est élevé. Avec ce projet-pilote, nous voulions examiner si nous pouvions y remédier. Ce taux d’absence pour maladie coûte cher à la Ville et à l’État, et cela a également un impact sur les services et sur la continuité du travail. Tout comme dans d’autres pays, nous manquons de personnel infirmier. Nous voulions voir si, avec une semaine de travail plus courte, nous pouvions rendre ce job plus attirant.
Pourquoi avoir choisi une maison de repos et de soins ?
Patrick Helgerson. Nous voulions un projet qui améliore les conditions de travail et de vie des femmes, c’est pourquoi nous avons opté pour un secteur très majoritairement féminin. Nous montrons ainsi qu’il y a des solutions politiques aux problèmes des femmes.
Le maire-adjoint affirme que la semaine de 30 heures est une mesure féministe. Constatez-vous cela dans les résultats ?
Patrick Helgerson. Ce qu’on constate, c’est que, avant le passage à la semaine de 30 heures, une partie du personnel soignant devait s’en sortir avec un salaire de temps partiel. Après le changement, beaucoup ont touché un salaire de temps plein. Beaucoup de femmes travaillent déjà trente heures par semaine, c’est la réalité.
Abaisser la norme du temps plein est certainement une mesure féministe. Il ressort de l’enquête que la qualité de vie du personnel s’est fortement améliorée. Les gens disaient se sentir en meilleure forme, avoir plus de temps pour eux-mêmes, être moins stressés, etc. C’est un important baromètre. En revanche, ce que nous n’avons pas mesuré, c’est si cela a entraîné une meilleure répartition des tâches à la maison, ou si cela a contribué à modifier les stéréotypes des rôles hommes/femmes. Après coup, nous trouvons cela dommage.
On a beaucoup entendu que ce projet a dû s’arrêter à cause de son coût.
Patrick Helgerson. Dès le début, la volonté était de limiter ce projet à une durée de deux ans. Nous savions parfaitement que cela allait coûter de l’argent et c’est pourquoi nous avions prévu un budget à cet effet. C’est aux autres partis politiques de décider si le jeu en vaut la chandelle. En ce qui nous concerne, c’est tout à fait le cas. Nous sommes très satisfaits du résultat atteint : du personnel supplémentaire a été engagé, le service s’est amélioré, il y a plus de continuité, une meilleure organisation du travail et de meilleures conditions de vie et de travail. Et, bien évidemment, une baisse très significative de l’absentéisme pour cause de maladie. Nous avions aussi espéré que le coût entraîné par cette absence pour maladie baisserait dans de mêmes proportions, mais cela n’a pas été le cas. Mais cela ne pèse en rien sur tous les autres résultats positifs. Pour nous, ce projet est plus qu’une réussite.
Comment voyez vous l’avenir ?
Patrick Helgerson. Le projet de Svartedalen est un début. La réduction du temps de travail a toujours figuré dans le programme du Vänsterpartiet. Si cela ne tenait qu’à nous, nous voudrions voir une expérience de ce type dans chaque district de la ville. Actuellement, la Ville de Göteborg a prévu une enveloppe d’environ 2 millions d’euros pour de nouveaux projets autour de l’innovation dans le temps de travail. Tout ne portera bien sûr pas sur la réduction du temps de travail, mais il y a aussi de nouveaux projets avec une semaine de travail plus courte dans le pipe-line, comme pour des assistants sociaux. Et nous avons bien sûr donné de l’inspiration à d’autres : il y a désormais plusieurs entreprises qui testent la semaine de 30 heures ailleurs en Suède.
Nous aimerions voir une telle expérience chez nous. Quelle est la meilleure approche pour cela ?
Patrick Helgerson. Nous avions l’avantage d’être dans une coalition progressiste qui voulait se centrer sur un projet à petite échelle. Cela nous a appris que de tels petits projets ne donnent pas seulement des résultats directs pour les personnes concernées, mais qu’ils ont aussi un effet tache d’huile. Plus nous avancions, plus Svartedalen a suscité d’intérêt, et la semaine de 30 heures a été considérée par de plus en plus de gens et d’organisations comme une alternative réalisable.
Le soutien de la base est également très important. À un moment, la droite a voulu arrêter le projet. Le personnel soignant s’est alors organisé et a mené des actions avec le syndicat. Ils ont ainsi obtenu la poursuite de l’expérience. Des expériences ciblées au plan local, avec le soutien de la base, sont très utiles et peuvent être utilisées pour élargir la perspective vers le niveau national.
Article publié dans le mensuel Solidaire de juillet 2017. Abonnement.
Réagir à cet article ? Envoyez un mail à redaction@solidaire.org.
