Deux semaines après le Diktat de Bruxelles, il est temps de faire un bilan provisoire. C’est ce que fait Peter Mertens dans un article paru sur le site dewereldmorgen.be qu’on peut lire comme une mise à jour du chapitre « Grèce » de son livre « Comment osent-ils ? ». Peter Mertens résume la situation en treize thèses, avec une critique sévère de la prise de pouvoir allemande sur la zone euro, préparée depuis 2011. Mais il termine sur une note optimiste : « L’expérience grecque a fait réfléchir des millions d’Européens, et ça, c’est une chose positive. »
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1. Le Diktat de Bruxelles va revenir comme un boomerang sur la zone euro
Le Diktat de Bruxelles du 12 juillet, par lequel le gouvernement grec a été crucifié après 17 heures de négociations, n’a rien résolu. À part le social-démocrate Jeroen Dijsselbloem, ministre des Finances des Pays-Bas, et le séparatiste repenti, Johan Van Overtveldt (N-VA), ministre des Finances de Belgique, personne en Europe n’en doute.
« L’euro ne s’est jamais porté aussi bien1 », a déclaré Jeroen Dijsselbloem le 14 juillet à la chaîne d’information néerlandaise NOS. Dijsselbloem est président de l’Eurogroupe, les ministres des Finances de la zone euro. Sa déclaration est surréaliste, mais une telle vanité peut se payer cher, même pour des sociaux-démocrates néerlandais. Tôt ou tard, le Diktat de Bruxelles reviendra comme un boomerang frapper au visage de ceux qui l’ont conçu. Le Diktat ne résout rien aux inégalités structurelles inscrites dans la zone euro depuis le début. Il ne résout rien à l’insupportable crise de la dette qui en découle ici. Il ne résout rien aux déséquilibres structurels en Europe et aux hémorragies internes dont souffre le continent. Et enfin, la situation sans issue de la Grèce n’est en rien améliorée. Le Diktat de Bruxelles n’est qu’une couverture posée sur un feu de forêt. Tôt ou tard, la couverture aussi prendra feu.
Certaines méchantes langues affirment que le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble (CDU, chrétien-démocrate), a imposé le Diktat de Bruxelles avec toutes ses exigences irréalistes pour quand même pousser la Grèce hors de l’euro. La chancelière Angela Merkel essaie de faire taire ces bruits. Quoi qu’il en soit, le fait est que la crise est loin d’être résolue. Il faudra plus que les 53,3 milliards d’il y a quelques semaines, plus aussi que les 86 milliards dont il est question dans l’accord. En outre, tout cela s’ajoute à l’actuelle montagne de dettes de la Grèce, de 350 milliards d’euros. Il faut être complètement idiot pour croire que les Grecs pourront jamais rembourser de tels montants.
« C’est un mythe que nous aidions les Grecs par un soutien financier. C’est très peu une aide. La plus grande partie des prêts que nous allons accorder aux Grecs, ils doivent aussitôt les revirer aux mêmes créanciers, pour rembourser des prêts plus anciens », réagit l’économiste Paul De Grauwe. « L’accord ne va pas résoudre le problème grec. Nous poussons même le pays encore plus vers le précipice2. »
En diminuant plus encore le pouvoir d’achat d’une population appauvrie et en cadenassant plus encore le budget de la Grèce, l’économie va s’enfoncer plus profondément dans la récession. Selon le Diktat, le budget de la Grèce devrait présenter pendant quelques décennies un excédent primaire de 3,5 %. C’est un objectif parfaitement irréalisable. À côté de cela, le pays devrait tirer 50 milliards d’euros de la vente forcée de pratiquement toutes les richesses que le pays compte encore. Cela aussi, ce n’est pas réalisable. En 2011, la Troïka avait déjà formulé la même obligation, mais depuis, la vente de l’argenterie de table de la Grèce n’a rapporté que 3,2 milliards d’euros. Si les Grecs n’atteignent pas l’objectif, et c’est ce qui va se passer, les préfets de discipline pourront dire que les Grecs ne peuvent ou ne veulent pas respecter la stricte discipline budgétaire.
« L’accord ne va pas résoudre le problème grec. Nous poussons même le pays encore plus vers le précipice »
C’est ainsi que les choses se sont passées lors du premier bail out de 109 milliards d’euros, déjà à condition de mesures drastiques. Selon les prévisions de la Troïka, l’économie de la Grèce ne devait connaître qu’une contraction limitée, suivie d’une croissance rapide. Tout le monde connaît le résultat. L’économie s’est enfoncée dans une dépression encore plus profonde, les échéances des prêts ont dû être repoussées et il a fallu un deuxième paquet de soutien de 130 milliards d’euros. De cet argent, 90 % a fait demi-tour au-dessus de l’Acropole pour aller vers les prêteurs du cœur de l’Europe. La population grecque a payé le coût sous forme d’une grave crise humanitaire : 1,5 million de chômeurs, 3 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, un tiers de la population sans protection sociale et sans accès à l’assurance maladie. Mais cette dure politique d’austérité, ce sont aussi des enfants qui tournent de l’œil en classe parce qu’ils ont faim, des parents qui mettent leurs enfants à l’orphelinat parce qu’ils n’ont plus de quoi les élever et le retour de maladies d’un autre temps, comme la tuberculose. Le Diktat de Bruxelles impose encore plus de cette politique, dans l’espoir illusoire que la recette marcherait un jour. « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », aurait dit Einstein. C’est précisément ce que fait l’establishment européen.
Quand il sera clair que les Grecs ne peuvent pas répondre aux exigences folles, suivra un nouvel épisode de concertation de crise, avec des exigences peut-être plus choquantes encore, jusqu’à ce que la Grèce se retrouve expulsée de l’euro. Ou forcée de sortir de l’euro « de sa propre initiative ». Lorsque cela arrivera, et qu’on verra clairement que l’appartenance à l’euro est réversible, la zone euro ne sera plus qu’une union monétaire bancale, sans transferts fiscaux ni structures démocratiques. Une zone dominée par un seul État, l’Allemagne, et une religion, l’« ordolibéralisme », variante allemande du néolibéralisme.
2. Cette Europe impose à un État membre d’enterrer son propre Parlement
Athènes est sous curatelle. Le gouvernement doit recevoir le feu vert du FMI, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne — qui forment la Troïka — avant de pouvoir soumettre au Parlement un projet de loi et de consulter la société civile. C’est dans les conclusions finales du Diktat de Bruxelles. Le gouvernement grec a été obligé d’approuver pour le mercredi 15 juillet une première série de diktats et une deuxième pour le mercredi 22 juillet. Le Parlement est réduit à une institution coloniale qui doit exécuter des résolutions rédigées en dehors de la Grèce. Cela se passe dans des procédures de fast track où les parlementaires n’ont que quelques heures pour voter de nouvelles lois.
Lors du vote du 15 juillet, la présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, a fait un plaidoyer pour la résistance au chantage : « Ce soir est une journée noire pour la démocratie en Grèce et en Europe. Mais c’est aussi une journée noire pour le Parlement grec, car, par le moyen d’un chantage éhonté de l’Union européenne à l’égard du gouvernement en premier lieu et ensuite à tous les députés, ce Parlement est convoqué pour ratifier, en deux heures et trente minutes à peine et sans discussion de fond, l’enterrement de sa propre fonction, tout comme l’abandon de la souveraineté nationale et l’hypothèque de la richesse publique. Et il n’y a aucun doute que si ce chantage est ratifié ce soir, rien n’empêchera sa répétition. Non seulement contre nous, mais aussi contre d’autres peuples et d’autres gouvernements3. » Peine perdue. Sous la pression des prêteurs étrangers, le Parlement grec a approuvé les lois.
Le Parlement grec est réduit à une institution coloniale qui doit exécuter des résolutions rédigées en dehors de la Grèce
« Le mot “diktat” est même un euphémisme, c’était un exploit d’huissier4 », à écrit le journaliste Paul Goossens. Imaginez que le gouvernement belge soit obligé de vendre les ports d’Anvers, de Zeebruges et de Gand. Comme ça, simplement, sur le marché, au plus offrant. Et encore l’aéroport de Zaventem, la SNCB et tout l’approvisionnement en eau. Imaginez qu’on impose à la Belgique que cette braderie publique rapporte obligatoirement 50 milliards d’euros. Et que l’argent de cette vente forcée doit aller dans un fonds au Luxembourg. En sorte que la moitié puisse être utilisée pour rembourser les prêteurs, et pour un quart à recapitaliser les banques du pays. Ce ne seraient pas seulement les dockers d’Anvers, de Bruges et de Gand, mais tout le pays qui serait sens dessus dessous. C’est pourtant ce que le Diktat de Bruxelles impose à la Grèce.
En ces temps de politique de self-service éhontée, j’ai déjà parlé du fait que la Sofina de Guy Verhofstadt est, par l’intermédiaire de Suez Environnement, directement impliquée dans la privatisation de l’eau grecque à Thessalonique. Ce n’est pas tout. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, est partie prenante. Dans le texte originel du Diktat de Bruxelles, on voulait que les produits de la vente forcée de la Grèce soient gérés à Luxembourg par un fonds contrôlé par Schäuble. En fin de compte, Tsipras a pu faire effacer cette exigence du Diktat, mais le fonds qui gérera l’expropriation des richesses publiques reste entièrement sous contrôle de la Troïka, quel que soit le lieu où se trouve son siège principal.
C’est ce que les économistes appellent fire sale : une vente de faillite. Son caractère forcé aura pour résultat que les richesses grecques seront à vendre pour une croûte de pain, bien en dessous de la valeur de marché. Et donc les vautours sont nombreux à tourner au-dessus de l’Acropole dans l’espoir d’emporter les meilleurs morceaux d’un pays en décomposition. Pour les ports de Thessalonique et du Pirée, se sont déjà fait connaître des entreprises du Danemark, de Chine et des Philippines. Le gestionnaire de réseau électrique ADMIE peut compter sur l’intérêt de la Belgique, de l’Italie et de la Chine. L’entreprise allemande Fraport est sur le point de s’emparer de quatorze aéroports grecs, surtout des destinations touristiques. Et l’entreprise russe Gazprom est assez tentée par la société pétrolière ELPE. Mettre en vente forcée ce qui intéresse les groupes étrangers et liquider ce qui fait concurrence à ces mêmes groupes, cela s’appelle une politique coloniale.
Même les îles grecques sont vendues. Sur le très sérieux site financier allemand finanzen100.de, pas moins de onze îles grecques sont offertes en solde sous le titre : « Ces onze îles grecques, vous pouvez maintenant les acheter pour une croûte de pain ». Pour 6,9 millions d’euros, l’île de Nafsika peut devenir votre propriété privée. Vous pouvez déjà vous acheter la petite Lihnari pour 3 millions d’euros. Pour Omfori, par contre, il vous faudra allonger 50 millions d’euros. Der Spiegel annonce que le milliardaire Warren Buffett s’est offert une île en mer Égée. « Il a du flair pour les affaires. Il s’agit de l’île Agios Thomas. Le prix d’achat s’élèverait à 15 millions d’euros5 », écrit le journal.
3. La Grèce n’est pas l’Ukraine
Quatre jours à peine après le Diktat de Bruxelles, Berlin a reçu une surprenante « visite de crise » du ministre des Finances des États-Unis, Jack Lew. Le site Deutsche Wirtschafts Nachrichten écrit : « Cette surprenante intervention de crise des Américains pourrait bien être plus importante que toutes les réunions européennes de crise ensemble. Les Américains sont inquiets des développements en Europe. Ils voient clairement qu’en cas de krach de la Grèce, l’avenir de l’Otan en Europe serait en jeu. Il ne s’agit plus seulement du flanc sud de l’Europe. Il s’agit de ce que des partis d’extrême droite, des partis antieuropéens et des partis de la gauche protestataire pourraient faire basculer le rapport de forces en Europe. Toutes ces forces sont antiaméricaines et anti-Otan6. »
Les États-Unis tiennent un raisonnement géostratégique. La Grèce se trouve au carrefour de trois continents. Elle a toujours été dans l’Otan une alliée fidèle. C’est de la plus haute importance maintenant que l’Otan et les stratèges américains considèrent avec grande attention l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’Iran, les Balkans, l’Ukraine, la Russie et les autres pays d’Europe de l’Est. Washington veut éviter qu’Athènes ne tombe dans la sphère d’influence de la Russie. Ce n’est un secret pour personne que Washington a la voix décisive au Fonds monétaire international (FMI), un des trois membres de la Troïka. Washington utilise cette influence pour forcer les partenaires de la Troïka à une certaine indulgence à l’égard d’Athènes. Pas pour des raisons humanitaires. Mais géostratégiques.
C’est en vertu de considérations géostratégiques semblables que l’Ukraine a bénéficié récemment d’une importante remise de dette. Ce pays est dix fois plus corrompu, instable et oligarchique que la Grèce et a des forces d’extrême droite importantes qui sentent particulièrement mauvais. Cependant, l’Ukraine a reçu du FMI une remise de dette pour des prêts anciens de 13,5 et 18,5 milliards d’euros et un nouveau prêt de 36,1 milliards d’euros. Cette fois, pas de titres haineux en première page du Bild allemand ou du Telegraaf néerlandais sur les Ukrainiens « corrompus jusqu’à la moelle et maladivement dépensiers ». Car c’est cela, littéralement, qu’on a pu lire sur les Grecs. Ce n’est pas seulement le Bild, mais aussi le journal Die Zeit qui titrait en première page sur « la culture ennemie de l’effort » qui régnerait en Grèce. Rien de tout ça à propos de l’Ukraine. Non, personne ne semble avoir trouvé que les milliards d’euros de remise de dette à l’Ukraine constituaient un point important, pas plus que les 36 nouveaux milliards. Bien que tout le monde sache que les chances de voir ce prêt jamais remboursé sont pratiquement nulles. Deux poids et deux mesures. Pourquoi ? « It’s the politics, stupid ». Il s’agit de politique, pas d’économie. On préfère soutenir un régime d’extrême droite et oligarchique qui défend « nos » intérêts que de conclure un accord avec un État membre de l’Europe qui ose mettre en question « notre » politique.
L’Ukraine a bénéficié d’une importante remise de dette. Ce pays est dix fois plus corrompu, instable et oligarchique que la Grèce et a des forces d’extrême droite importantes
Ce qui était permis à l’Ukraine corrompue n’était donc pas permis à la Grèce. Malgré une forte pression de Washington. Le ministre américain Lew a averti il y a quelques semaines encore qu’un krach de la Grèce pourrait bien coûter à l’économie mondiale quelques centaines de milliards. Obama a plus d’une fois communiqué ce souci par téléphone à Merkel. Mais il n’a obtenu aucune concession concrète. Les Deutsche Wirtschafts Nachrichten écrivent : « Les Américains savent que le problème du Grexit ne peut être résolu que par un allègement de la dette. Washington a essayé de faire passer ce message avant le sommet européen. Le FMI, aux mains des Américains, a déclaré qu’il est nécessaire d’accorder à la Grèce beaucoup plus d’argent, plus une remise de dette. Aujourd’hui, le FMI s’exprime de nouveau et remet l’allègement de la dette sur la table. L’avertissement est donné dans une formulation beaucoup plus sévère : l’allègement de la dette doit aller “beaucoup plus loin que ce que la zone euro veut accepter jusqu’à maintenant”7. »
Le nouveau rapport publié par le FMI le 14 juillet doit donc être lu politiquement, mais il n’en est pas moins intéressant8. Il ressort du rapport que la dette grecque est intenable. C’est dit très clairement dès la première ligne. Sans sérieux allègement de la dette, il n’y a pas de solution possible. C’est ce que le gouvernement grec a dit depuis le début. Deuxièmement, il apparaît que le deal (lisez : diktat) ne fera qu’aggraver la situation. Dans les deux ans, la dette sera deux fois plus grande que toute l’économie grecque. Dans ce contexte, de nouvelles mesures d’économie (les exigences de diminuer les pensions et d’augmenter la TVA) sont impossibles et contre-productives, peut-on lire entre les lignes dans le rapport du FMI. Troisièmement, on lit aussi que les chiffres de l’Union européenne sur la dette grecque, sur les objectifs d’excédents budgétaires et sur la privatisation qui sont repris dans le Diktat de Bruxelles ne sont que fantaisies irréalistes. Cela veut dire : ce ne sont pas des objectifs économiques, mais politiques. Enfin, le FMI souligne encore que la décision de la Banque centrale européenne de mettre à sec les banques grecques coûte énormément d’argent à toute l’Europe. Les dirigeants de la zone euro étaient au courant du rapport critique déjà le dimanche soir, avant d’entamer leur négociation marathon. Ils n’ont vu que la dimension politique du rapport et pas les sérieux avertissements économiques. En ne tenant pas compte du rapport du FMI, Berlin envoie aussi un message à Washington : l’Union européenne est sous direction allemande.
4. L’Union européenne officielle est devenue l’Union européenne conditionnelle
Dans les pubs d’Irlande, une nouvelle plaisanterie circule : « Quelle est la différence entre la maffia et les dirigeants européens actuels ? La maffia vous fait “une offre que vous ne pouvez pas refuser”. Tandis que les dirigeants de l’Union européenne vous font une proposition que vous ne pouvez pas refuser, mais pas accepter non plus, à moins de vous autodétruire. »
L’Union européenne a été mise sur pied par les groupes d’intérêts les plus grands et les plus puissants du continent pour pouvoir mieux soutenir la concurrence des États-Unis et du Japon
« Pour tout dire : ce n’est pas d’hier que l’Union européenne est devenue un lieu inhospitalier pour les progressistes. Elle l’a en fait toujours été. C’est simplement que maintenant, depuis la crise, c’est devenu encore plus évident, et que certains s’en sont rendu compte pour la première fois. Depuis le tout début, l’Union européenne est dans son essence un projet libéral9 », écrit le professeur en études européennes Ferdi De Ville dans Knack. Il en est bien ainsi. L’Union européenne a été mise sur pied par les groupes d’intérêts les plus grands et les plus puissants du continent pour pouvoir mieux soutenir la concurrence des États-Unis et du Japon. En coulisses, l’unification a été soutenue par de puissants lobbys comme la Table ronde des industriels européens (ERT). Bien que cette table ronde ne réunisse que cinquante membres, ces cinquante représentent un chiffre d’affaires de milliers de milliards d’euros et emploient 6,6 millions de salariés. La Table ronde européenne a dicté dans les années 1980 le projet de marché unique de 1992. Ils ont préconisé la monnaie unique avec les stricts critères de convergence, dite norme de Maastricht. Début 2002, ils ont planté les jalons de la phase suivante : la gouvernance économique, une autorité fortement centralisée qui piloterait l’ensemble de la politique économique.
Pendant que, dans les coulisses, l’Union européenne était conçue comme un projet de concurrence, sur scène se succédaient l’une après l’autre les déclarations les plus ronflantes sur « l’Europe sociale ». Ainsi, l’Union européenne aurait été fondée sur trois principes respectables. Le premier principe était que le processus d’intégration européenne serait consensuel, sur base de l’égalité des partenaires. Un deuxième principe était qu’on ne pourrait pas revenir en arrière sur les étapes conduisant à une intégration européenne. Un troisième principe, tacite, serait que l’Allemagne se modère, en échange de l’énorme cadeau de la relance que les autres pays européens lui avaient offert après la barbarie nazie dévastatrice de l’Allemagne de Hitler. Le diktat de Bruxelles a fait de ces principes de l’Union européenne des valeurs nulles et non avenues.
La souveraineté grecque n’existe plus. « Le mont de piété Europe a repris l’État anciennement connu sous le nom de Grèce10 », a écrit Tine Peeters dans De Morgen. En menaçant les électeurs grecs, en fermant les banques grecques pendant des semaines, en pratiquant la torture de « noyade mentale » et en appuyant le pistolet sur la tempe des Grecs pour leur imposer un diktat humiliant, toute notion d’égalité est devenue impossible. En cela, l’Europe foule aux pieds son premier principe et ancre un nouveau concept dans les fondements de l’Europe : un État membre peut être mené à sa perte et il le sera s’il ne marche pas au pas dans la direction de la politique allemande de rigueur monétaire.
Le deuxième principe est lui aussi passé à la trappe. La menace de Wolfgang Schäuble, soutenu à un certain moment par le dirigeant du SPD (parti social-démocrate allemand) Sigmar Gabriel, d’éjecter la Grèce de la zone euro a mis fin à l’irréversibilité de l’adhésion à l’Europe. Bien que cette menace n’ait pas été mise à exécution (pas encore), le fait qu’elle ait été acceptée comme option signifie qu’à partir d’ici toute étape dans l’Union européenne est conditionnelle. Angela Merkel et François Hollande peuvent bien protester qu’un plan B semblait inutile, mais il est devenu évident que tout pays qui ne satisferait pas à la religion du budget ferait quand même mieux de préparer un plan B. L’Union européenne officielle est devenue l’Union européenne conditionnelle. L’économiste américain Paul Krugman a appelé le Diktat de Bruxelles « une trahison grotesque de tout ce à quoi le projet européen était censé tenir. » Krugman écrit : « Les considérations économiques sont devenues accessoires. Mais ce que nous avons appris ces dernières semaines, c’est que l’adhésion à la zone euro implique que les créanciers peuvent détruire l’économie de celui qui sort du rang11. »
5. Certaines forces veulent une scission entre un noyau de l’Europe et l’Europe des vassaux
L’exemple grec montre clairement que l’adhésion au club européen ne suffit plus et qu’il est possible d’éjecter un État membre de sa propre union monétaire. Le premier sur la liste est l’Italie. La semaine dernière, le journal financier allemand Handelsblatt a mis le paquet avec un long article sous un titre en gras « L’Italie est la Grèce taille XXL »12. L’Italie, c’est la Grèce au carré. Depuis le début de la crise en 2008, la production industrielle a reculé d’un quart. Le revenu par habitant a atteint son niveau le plus bas depuis 1997. Le chômage a doublé. La troisième plus grande économie de la zone euro n’a plus de croissance depuis quatorze trimestres consécutifs. La productivité du travail est plus basse que lors de l’introduction de l’euro. En mai 2015, l’Italie a fait 23 milliards de dettes nouvelles. La dette italienne totale s’élève à près de 2 200 milliards d’euros ; c’est 135 % du PIB.
Ce ne sont pas de bonnes nouvelles, mais ça montre bien la faillite de la politique européenne d’austérité. Pas seulement en Italie d’ailleurs. Notre pays a vu sa dette publique monter à presque 448 milliards d’euros, soit 111 % du PIB. Les Français sont dans le rouge pour 2 089 milliards d’euros, ce qui revient à 97,5 % du PIB. Tout ça est bien loin de la limite maximale de la dette à hauteur de 60 % du PIB, qui a encore été confirmée dans le Pacte budgétaire de 2013 (voir plus loin).
L’exemple grec montre clairement que l’adhésion au club européen ne suffit plus et qu’il est possible d’éjecter un État membre de sa propre union monétaire. Le premier sur la liste est l’Italie.
Pourtant, c’est surtout l’Italie qui est dans la ligne de mire. C’est bien sûr lié aux mille milliards d’euros que la Banque centrale européenne a dépensés ces deux dernières années à racheter des obligations publiques d’Italie et d’Espagne. C’est un montant gigantesque. Mais il y a plus. À savoir, la conception de l’avenir de l’Europe du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble. Schäuble a développé au milieu des années 1990 le concept d’une Europe du noyau, dans laquelle un « centre fort » autour de l’Allemagne établit un petit « noyau » intégré de l’Union européenne qui non seulement en maintient l’unité, mais en définit la politique. En 1994, il a rédigé un masterplan sous le titre « Überlegungen zur europäischen Politik ». Cela veut dire : « réflexions sur la politique européenne »13. Selon Schäuble, l’Allemagne, la France, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas devaient former le « noyau » de l’unification européenne, avec l’axe franco-allemand comme moteur. Pour Schäuble, l’euro devait constituer le noyau dur de l’Europe. La monnaie commune ne serait thésaurisée que par un petit noyau de pays. Autour de ce noyau, on pourrait alors construire une Union européenne plus large. Dans la vision de Schäuble, la Grèce n’appartient pas à cette Europe du noyau. Cela explique aussi sa position dure pendant la crise et son plaidoyer ouvert pour bannir de l’euro le pays de la mer Égée. Mais dans la vision du docteur Schäuble, l’Italie appartient tout aussi peu à cette Europe du noyau. Et donc pas non plus à la zone euro. Cela fait de la troisième plus grande économie de la zone euro une possible proie suivante pour les tenants de la ligne dure de Berlin.
Certaines forces préconisent ouvertement la scission d’une Europe du noyau d’un côté et d’une Europe des vassaux de l’autre. Leur vision est celle d’une Europe à la mesure des pouvoirs financiers de Francfort et de la grande industrie allemande, complétée par des pays qui assurent certaines fonctions dans la chaîne de montage industrielle transfrontalière.
Le Diktat de Bruxelles a donc rendu explicite pour Rome et Madrid que c’est en définitive Berlin qui décidera qui peut appartenir à l’Europe du noyau et qui sera confiné à la zone des vassaux. C’est aussi un avertissement pour Paris. Le site German Foreign Policy donne la parole à une collaboratrice de la Chancellerie fédérale qui fait la leçon à la France parce que Paris prétend être plus que le junior partner de l’Allemagne. La France doit « abandonner le plus vite possible cette orientation de se profiler comme nation au détriment de son plus proche partenaire14 », selon cette collaboratrice. L’Allemagne décide, la France est autorisée à donner un coup de main. Tout ceci n’a bien sûr rien à voir avec une Europe démocratique et solidaire.
6. L’euro parle allemand, depuis le début
« On fait comme si on avait reçu là une injonction allemande que tout le monde a dû avaler, mais ce n’est absolument pas vrai », dit le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) après le Diktat de Bruxelles. Il serait alors le seul homme politique ou observateur à n’avoir pas vu l’« injonction allemande ». Il en était, de toutes ces réunions des ministres européens des Finances, mais une prise de pouvoir de l’Allemagne, il n’a pas vu. « Ceci n’est pas une pipe. » Pourtant oui, et c’est même une grosse pipe, estime le journal financier De Tijd sous le titre « L’Europe appartient à l’Allemagne ». Bart Haeck, qu’on peut difficilement soupçonner de sympathies de gauche, le dit sans ambages : « Hier à l’aube, nous nous sommes tous réveillés dans une autre Europe. Encore que peut-être nous n’en sommes pas encore tout à fait conscients. La position dominante qu’elle a déjà depuis des années en Europe, Merkel en joue maintenant formellement aussi. L’union monétaire, mais aussi l’Union européenne, est devenue plus que jamais une union allemande dont Merkel tient le sceptre15.
Là où Van Overtveldt nie froidement la prise de pouvoir allemande, Bart Haeck parle d’un « diktat allemand » : « Ce diktat allemand est pourtant justement le changement du week-end dernier qui sera déterminant pour les prochaines années. Merkel est sortie de l’ombre où se confinaient ses prédécesseurs et prend place entièrement seule au gouvernail de l’Europe. La domination allemande a toujours existé, mais Berlin ne voulait jamais jusqu’à présent tomber dans le piège d’en jouer explicitement. » Le diktat ouvert de l’Allemagne est effectivement le changement dans la politique européenne et que notre ministre de Finances ne veuille pas le voir le rend aveugle ou incompétent.
La prise de pouvoir allemande sur la zone euro ne tombe pas du ciel. Ce n’est pas un coup d’État inattendu, mais le résultat d’une politique qui s’étend sur de longues années
La prise de pouvoir allemande sur la zone euro ne tombe pas du ciel. Ce n’est pas un coup d’État inattendu, mais le résultat d’une politique qui s’étend sur de longues années. La radicalisation de la politique économique allemande date de juste après la chute du Mur. La radicalisation est étroitement liée à l’expansion territoriale de la base économique de l’Allemagne du fait de la réunification. Les Français, entre autres, ont autorisé la réunification allemande sous la condition que le chancelier d’alors, Helmut Kohl, accepte l’instauration d’une monnaie européenne unique : l’euro. Mais ce que souvent on ne raconte pas, ce sont les conditions que l’Allemagne a imposées à l’euro. Ce serait l’Allemagne qui mènerait le jeu : il devait y avoir une Banque centrale européenne « indépendante » sur le modèle de la Bundesbank, la lutte contre l’inflation devait devenir une obsession, beaucoup plus importante que la lutte contre le chômage, et on ne pourrait accepter de transferts financiers entre pays exportateurs forts et pays importateurs faibles. Dès sa naissance, l’euro a été ajusté à la monnaie la plus forte, le mark allemand. « La Bundesbank a fait de la monnaie la plus forte la véritable valeur de référence », a dit d’ailleurs alors Karl Otto Pöhl, président précédent de la Bundesbank. « L’euro parle allemand », devait déclarer le ministre allemand des Finances Theo Waigel encore avant l’instauration de la monnaie unique en 1998. Il ne pouvait mieux dire.
Tout cela, je l’ai écrit dans le livre Comment osent-ils ? il y a quatre ans. Je le rappelle ici seulement parce que certains s’étonnent aujourd’hui de la prise de pouvoir allemande dans la zone euro. La Bundesbank est la maman de la zone euro et personne ne doit s’étonner lorsque plus de dix ans après les mêmes milieux financiers de Francfort montrent ouvertement leur vision coloniale de l’Europe.
Retournons un instant à l’introduction de l’euro en 2002. Jusqu’en 2008, on ne voyait pas le moindre nuage. Avec un euro à l’image du mark allemand, tout semblait pour le mieux. Une monnaie stable, fini les risques de change, un grand marché intérieur unique, qu’est-ce qu’une grande nation exportatrice peut demander de mieux ? « De bas salaires ! », répond le gouvernement rose-vert Schröder-Fischer. Et il joint l’acte à la parole. En Allemagne, les sociaux-démocrates et les verts ont créé un gigantesque secteur de bas salaires. Ainsi les produits allemands sont moins chers et l’exportation allemande explose, surtout à l’intérieur de l’Union européenne. Du côté sud de l’Europe, c’est le contraire qui se passe. Le Portugal, l’Espagne, la Grèce ne font pas le poids contre les nombreuses entreprises plus solides et plus puissantes de l’Europe du noyau. Ils doivent importer plus qu’ils n’exportent et l’argent disparaît donc à l’étranger.
On l’oublie parfois, mais entre 2002 et 2008, les principaux courants de capital courent de Lisbonne, Madrid et Athènes vers Francfort, Berlin, Paris, Amsterdam et Bruxelles. Auparavant, un pays pouvait corriger ce désavantage par une dévaluation. Mais ce n’est maintenant plus possible. On ne peut plus non plus utiliser le budget pour stimuler l’économie, car celui-ci est bloqué par les normes de convergence de Maastricht. Les pays du Sud sont pris au piège. Pas de panique, dit-on alors dans l’Europe du noyau — et les banques allemandes, françaises, néerlandaises et belges ouvrent le robinet en grand. Les pays du Sud peuvent emprunter pour presque rien, pour continuer à importer les produits de l’Europe du noyau. Jusqu’à ce que la bulle éclate et que la crise devienne effective.
Pas de transferts de solidarité, a ordonné la politique monétariste allemande. Il ne reste donc alors qu’un seul remède : la main de fer. L’Allemagne s’est cramponnée à l’union monétaire comme arme pour « mettre de l’ordre dans les affaires ». « Si l’Europe ne met pas les affaires en ordre dans ses budgets et ne peut pas renforcer sa position concurrentielle, elle ne jouera plus un rôle significatif au plan mondial et devra s’incliner étape par étape », a déclaré Angela Merkel pendant la première crise de l’euro.
7. Le Pacte budgétaire est la main de fer allemande qui impose la politique d’austérité
Le Conseil européen et la Commission européenne ont profité des nuages de poussière soulevés par la crise pour faire ce qu’ils n’auraient jamais osé faire en plein jour. Ils ont mis dans toute l’Europe la politique sociale et économique sous curatelle d’« experts », directement issus des grands groupes financiers et économiques. Ils se sont approprié eux-mêmes des compétences qui ne sont couvertes par aucun contrôle ou aucune décision démocratiques et qui mordent dans le pouvoir souverain de décision des États nationaux.
Une plus grande discipline pour économiser, une plus grande discipline budgétaire, voilà ce qu’on entendait en Allemagne après la crise bancaire et de l’euro. Pas question de grands programmes d’investissements, pour investir justement en temps de crise. Pas question de deficit spending ou de politique keynésienne pour faire redémarrer le moteur. Non, la logique de la zone euro devait être poursuivie. Et même encore durcie. Lors de la conception de la monnaie unique, on avait déjà défini cette logique dans les normes budgétaires du Traité de Maastricht (1992). Cinq ans plus tard, dans le Pacte de stabilité (1997), à ces normes strictes on avait ajouté des sanctions. Que précisément l’Allemagne et la France soient en 2003 les deux premiers pays qui enfreignent ces normes, cela ne devait pas troubler la fête. On n’a pas lâché de Troïka ou de Wolfgang Schäuble sur Paris ou Berlin. On a fermé l’œil et passé l’éponge.
Tandis que l’Union européenne est enfermée toujours plus étroitement dans la camisole de force allemande, les sociaux-démocrates et les verts continuent de parler d’« étapes vers une Europe sociale ». En approuvant le Pacte budgétaire, ils font exactement le contraire
La leçon que l’Allemagne a tirée de la crise des banques et de l’euro, c’est qu’il fallait une main de fer. Une camisole de force à laquelle personne ne pourrait plus échapper. Après la monnaie unique, il fallait encore à l’Europe une politique unique et celle-ci devait être bétonnée le mieux possible dans des traités et des pactes. Ce qui en temps normal aurait demandé beaucoup de patience et d’efforts, les milieux patronaux l’ont alors obtenu sans peine. Sous la direction de Merkel, alors déjà, l’Union européenne a fait trois pas essentiels.
Le vendredi 25 mars 2011, on a adopté le pacte Europlus, une grande déclaration de guerre contre le « coût du travail ». La politique monétaire serait-elle trop rigide ? Échouerait-elle à protéger les États membres des remous sur les marchés financiers ? Eh bien, il n’y a qu’à rendre le reste flexible, en particulier les salaires. Si nous ne pouvons pas dévaluer la monnaie, dévaluons les salaires. Mais les salaires, comme le marché du travail et la sécurité sociale, sont de la compétence des États nationaux. Pas de problème, le pacte Europlus oblige les pays européens à présenter chaque année un plan de compétitivité. Dorénavant, chaque pays sera évalué selon un certain nombre d’indicateurs pour garder à l’œil sa capacité concurrentielle à l’égard des pays voisins. La comparaison sert bien sûr à faire jouer les coûts salariaux les uns contre les autres.
Suit une deuxième étape : un cadre légal pour infliger des sanctions. Le jeudi 23 juin 2011 sont approuvées là-dessus pour la première fois six ordonnances (votées définitivement ensuite, le 28 septembre 2011). Ces ordonnances ont reçu le nom de Six-Pack. Sous couleur de combattre les « déséquilibres macroéconomiques », la Commission peut dorénavant intervenir même dans des domaines qui ne sont pas de sa compétence. Les groupes libéraux et conservateurs ont défendu les textes avec enthousiasme. Récemment, John Crombez (sp.a) a raconté dans le Knack : « Au parlement européen, nous avons rejeté le Six-Pack16. » Ce n’est pas vrai. Tous les députés verts et sociaux-démocrates de notre pays ont approuvé au moins deux des six textes. Ils ont été d’accord avec un tableau de comparaison concurrentielle et avec un pouvoir de sanction de la Commission.
Cela apparaîtra clairement aussi deux ans après lors de la troisième étape. En mars 2013, on approuve le Two-Pack, par lequel on oblige les États membres à présenter chaque année avant le 15 octobre leurs projets de budget à la Commission. La doctrine allemande dure d’austérité et les mécanismes de sanction ont été coulés par la suite dans un traité de rigueur, qu’on appelle le Pacte budgétaire (TSCG). Le Parlement belge a approuvé ce pacte budgétaire néolibéral en mai 2012 avec le soutien du PS et du sp.a. Chez Ecolo, c’est le règne habituel de l’hypocrisie : les écologistes, dans l’opposition au Parlement fédéral, y ont voté contre, mais appartenant à la majorité dans les Parlements bruxellois et wallon, ils y ont voté pour. Les divers partis gouvernementaux ont approuvé que notre gouvernement respecte aveuglément toutes les règles de discipline budgétaire et de la dette publique et aussi que notre pays se soumette aux diktats que la Commission européenne peut prononcer pour redresser les soi-disant « déséquilibres macroéconomiques ». On peut se demander quel sens cela a de voter au Parlement européen contre quatre des six ordonnances du Six-Pack, si c’est pour ensuite accepter dans les Parlements belges que notre pays obéisse quand même aux six ordonnances. Tandis que l’Union européenne est enfermée toujours plus étroitement dans la camisole de force allemande, les sociaux-démocrates et les verts continuent de parler d’« étapes vers une Europe sociale ». En approuvant le Pacte budgétaire, ils font exactement le contraire.
8. De l’échec de l’euro allemand, on a tiré la leçon : un euro encore plus allemand
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« Comment faire tenir ce patchwork ? Cela dépendra de facteurs économiques, mais aussi politiques. Deux voies sont possibles. La première, c’est plus d’autoritarisme dans une Europe centralisée qui sacrifie la souveraineté des États membres. La deuxième, c’est un retour au nationalisme. Dans cette lutte politique, les contradictions internes allemandes jouent le rôle le plus important », ai-je écrit en 2011 dans Comment osent-ils ?
C’est précisément ce qui se passe. Pour Angela Merkel, son strict Pacte budgétaire de 2013 ne suffit pas. Fin 2013, la chancelière rêve ouvertement d’instruments contraignants pour imposer la discipline budgétaire aux pays qui ne sont pas sous la curatelle de la Troïka. Des pays comme la Grèce, où la Troïka est au pouvoir, doivent prendre les mesures obligatoires reprises dans des mémorandums. D’autres pays, non. Merkel veut instaurer ce qu’on appelle des contrats de compétitivité, un contrat bilatéral entre les États membres et la Commission européenne, dans lequel sont définies des réformes structurelles en échange d’interventions financières. Soit un mémorandum sur mesure pour chaque pays. La proximité des élections européennes de 2014 a fait que la proposition n’est finalement pas venue. Mais le 23 octobre 2013, le Parlement européen a cependant approuvé une motion sur le semestre européen. On y dit que la Commission doit rapidement mettre au point un tel instrument de compétitivité. Démocrates chrétiens, libéraux, mais aussi sociaux-démocrates et verts ont voté la motion. Ils restent dévoués à une Europe concurrentielle. Seul le groupe de la Gauche unie (GUE/NGL) a voté contre.
L’euro a été depuis le début coulé dans du nickel allemand. Après la crise bancaire, on est passé à la vitesse supérieure
Au milieu des nuages de poussière soulevés par la crise en Grèce, le 22 juin, les présidents de l’Union européenne et des institutions de l’UE ont présenté leur « rapport des cinq présidents ». Ce rapport préconise aussi « plus d’Europe » et un transfert supplémentaire de souveraineté vers Bruxelles. Dans une première phase (jusque 2017), toutes les règles doivent être respectées plus strictement. Tout doit être soumis d’avance à la Commission européenne et des sanctions sont prévues si les avis ne sont pas exécutés. C’est la même logique et la même politique que celles qui ont été appliquées à la Grèce. La seule différence, c’est qu’en Grèce elles ont été appliquées de manière plus extrême et drastique, ce qui était d’ailleurs possible par la mainmise de la Troïka. Dans une deuxième phase (à partir de 2017), les cinq présidents veulent en arriver à établir une sorte de gouvernement européen sur un modèle fédéral.
Dans le rapport, on propose que chaque pays de la zone euro mette sur pied ce qu’on peut appeler une Autorité de la compétitivité. Cette Autorité sera renforcée de technocrates et sera supposée ainsi être une « entité indépendante ». Sa mission : comparer les évolutions salariales avec celles des pays voisins et émettre sur cette base des « recommandations ». Ces Autorités de la compétitivité, non élues, coordonneraient leur politique au niveau européen. Nous pouvons nous rappeler qu’en Grèce, avec la même logique, sur base de recommandations d’ « experts », on a enfreint et abrogé un certain nombre de conventions collectives de travail. On officialise ainsi la compétition entre salariés des différents États membres. Tous les salariés sont montés les uns contre les autres et le pays qui taillera le plus profondément dans les salaires servira de modèle. Les partenaires sociaux de chaque pays devront se baser sur les recommandations de cette Autorité comme fil conducteur de leurs négociations salariales. Voilà ce que deviennent les négociations salariales libres. Si les partenaires sociaux étaient tenus de suivre les « recommandations », ce serait en infraction ouverte aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Les pays qui ne suivent pas « les meilleurs exemples » en Europe doivent être punis par les sanctions prévues dans le Six-Pack.
L’euro a été depuis le début coulé dans du nickel allemand. Après la crise bancaire, on est passé à la vitesse supérieure. Chaque fois à la demande de Merkel et des milieux financiers en Allemagne. Sauf le groupe de la Gauche unie (GUE/NGL), tous les grands groupes parlementaires européens ont soutenu cette tendance à divers degrés. Même les sociaux-démocrates et les verts. Le dimanche 12 juillet, Merkel a pris ouvertement les commandes pour elle-même. Ce n’était pas tout à fait inattendu. Les tenants allemands de la ligne dure sont occupés depuis des années déjà à fixer leur logique implacable – celle avec laquelle ils ont mis les Grecs KO – dans une camisole de force de pactes et traités. Ce sont d’ailleurs les leçons qu’ils tirent du cas de la Grèce. Moins de laxisme, plus de contrôle, plus de discipline, plus de sanctions pour imposer partout la politique rigide d’économies. Ça, c’est la tragédie de cette histoire. De l’échec de l’euro allemand, ils tirent comme leçon : un euro encore plus allemand, avec une main de fer.
9. En finir avec la ligne sociale-démocrate de Schulz, Moscovici, Gabriel, Hollande et Dijsselbloem
Dans le débat parlementaire du 2 juillet, un Patrick Dewael (Open Vld) enflammé a jeté à la figure de l’opposition sociale-démocrate les mots suivants : « Il y a deux sortes de socialistes. D’un côté, on a les socialistes dans les gouvernements et dans la Commission européenne. Ils prennent leur responsabilité, ils contribuent à la recherche de solutions. D’un autre côté, il y a des socialistes dans l’opposition : ils essaient de faire oublier le plus vite possible à l’opinion publique la responsabilité qu’ils portent eux-mêmes. Aujourd’hui, ils traitent d’hérésie l’approche de l’Union européenne, mais dans la législature précédente, je ne les ai jamais entendus faire la moindre réserve sur l’approche de la crise grecque que le premier ministre Di Rupo avait contribué à définir. »
Dewael soulève un point intéressant. Lors des élections de 2012 aux Pays-Bas, le SP de « gauche radicale » d’Emile Roemer se trouvait en tête des sondages. A suivi alors un changement de direction du discours des sociaux-démocrates néerlandais Diederik Samson et Jeroen Dijsselbloem, avec contre les banques et les spéculateurs des déclarations radicales qui faisaient paraître pâles celles de Roemer. La stratégie a fonctionné. Les sociaux-démocrates néerlandais sont entrés au gouvernement Rutte II et ont fait alors la même chose que le gouvernement Rutte I et que tous les autres gouvernements européens. Une politique dure et froide d’austérité est descendue encore plus bas outre Moerdijk. Et Dijsselbloem, oui, Dijsselbloem. Dans la plupart des pays européens, on est maintenant convaincu qu’il est membre du VVD libéral.
La même chose s’est passée en France avec François Hollande (PS). Pour faire échec à la montée du Front de gauche, la rhétorique a viré toujours plus à gauche. Hollande (qui allait devenir président) et Sapin (qui allait devenir ministres des Finances) ont été jusqu’à promettre dans leur campagne électorale la révision du Pacte de stabilité. C’était avant qu’ils arrivent au pouvoir. Une fois installés à l’Élysée, il n’en a plus été question. Au contraire, les liens avec l’Allemagne ont été resserrés. Hollande a bombé le torse pendant la compagne électorale, mais depuis il est lui aussi aux pieds de Merkel.
Le soutien ouvert de Gabriel, Hollande et Dijsselbloem au Diktat de Bruxelles met à nu la ligne dominante de la sociale-démocratie européenne
On a vu utiliser les mêmes stratagèmes rhétoriques en Allemagne. « Pour une Europe des gens, pas de l’argent. » Voilà le slogan avec lequel le SPD est allé l’an dernier aux élections européennes. Ça a changé lorsque le SPD est entré dans la grande coalition avec la CDU d’Angela Merkel. Le président du parti Sigmar Gabriel est devenu vice-chancelier et s’est fait remarquer ces dernières semaines comme un des partisans allemands de la ligne dure. Pas pour l’Europe des gens. D’autant plus pour l’Europe de l’argent. Le vice-chancelier social-démocrate n’excluait même pas un Grexit.
« Avec Angela Merkel, Wolfgang Schäuble et Sigmar Gabriel comme troïka berlinoise, l’Europe n’a pas d’avenir », juge Sahra Wagenknecht, porte-parole de Die Linke au Bundestag. « Schäuble et Gabriel veulent une Europe allemande, pas une Allemagne européenne. L’héritage de Helmut Kohl est abandonné à la légère et les relations avec la France et l’Italie se détériorent. Qu’un président du SPD intervient maintenant comme tenant de la ligne dure sur la réduction des pensions, les augmentations de TVA et les privatisations et que, animé de sentiments nationalistes, il dépasse régulièrement Angela Merkel par la droite, c’est bien triste. »
Yascha Mounk, professeur de sciences politiques à l’université de Harvard et membre convaincu du SPD, a trouvé ça inacceptable et a envoyé le 15 juillet dernier une lettre ouverte au vice-chancelier Gabriel. Die Zeit a publié la lettre : « C’est la politique à courte vue, nationaliste à l’égard de la Grèce, la trahison de l’idéal d’une Europe unie, qui est la raison pour laquelle je me sens étranger au SPD. Des semaines durant, le SPD a collaboré volontiers à la campagne arrogante de l’Allemagne contre la Grèce. Vous avez décidé de suivre Wolfgang Schäuble, le ministre conservateur des Finances. Vous avez décidé de suivre le Bild, le plus grand tabloïd d’Allemagne, le spécialiste de la morale à bon marché. Tout comme eux, vous avez fait la leçon aux Grecs et vous vous êtes acharné contre eux en leur disant qu’ils pouvaient bien boire leur propre sang. »
Le professeur termine sa lettre en annonçant sa démission : « Dans un article écrit avec Martin Schulz, président du parlement européen et membre du SPD, vous avez écrit que nous avons passé ces derniers jours un “test historique”. C’est bien bas. La vérité est que vous avez contribué à la destruction d’une Europe communautaire, démocratique et solidaire. Parce que c’est ça qu’est en réalité l’accord qui sera approuvé au Bundestag par une grande majorité de “nos” parlementaires. Après ces semaines affreuses de moralisme allemand et d’humiliation de la Grèce, l’idée d’une plus grande union entre les nations d’Europe est devenue une relique du passé. Le SPD, prenant peur de la force supposée du sentiment nationaliste dans la population, s’est une fois de plus rangé parmi les fossoyeurs d’une noble pensée internationaliste. Des dirigeants qui trahissent les principes du parti au moindre signe de crise ne me représentent plus. C’est pourquoi je mets fin aujourd’hui à mon adhésion17. »
Et de fait, le vendredi 17 juillet, le SPD a approuvé au Bundestag le Diktat de Bruxelles avec une majorité écrasante. 175 membres du SPD ont voté pour, 4 seulement ont voté contre. Les Grüne allemands aussi ont voté l’accord. 23 verts ont voté pour, 2 seulement contre. Encore qu’il y a eu ici beaucoup plus d’abstentions. C’est la deuxième fois que les verts et les sociaux-démocrates allemands soutiennent l’Europe allemande, justement dans les moments décisifs. La première fois lorsque le gouvernement rose-vert a organisé le dumping salarial en Allemagne avec les réformes Hartz (2001). Et maintenant, ils approuvent avec les merkéliens un diktat néocolonial qui renforce la prise de pouvoir de l’Allemagne sur la zone euro et rend de facto impossible la solidarité en Europe.
Allemagne, France, Pays-Bas et Italie, partout on a vu le même scénario. Un discours radical avant les élections, pour bloquer la montée d’une gauche conséquente. Une fois au gouvernement, cela a donné une politique d’austérité comme tous les autres, à quelques virgules près. Dans la ligne de l’approbation (PS et sp.a inclus) du Pacte budgétaire de 2013. Le soutien ouvert de Gabriel, Hollande et Dijsselbloem au Diktat de Bruxelles met à nu la ligne dominante de la sociale-démocratie européenne. On le remarque aussi aux excellences sociales-démocrates qui prennent un mandat dans les institutions européennes. Ils marchent tous bravement au pas cadencé allemand. Martin Schulz (SPD) a montré son obstination contre la Grèce comme président du Parlement européen et Pierre Moscovici (PS) n’a pas fait preuve de moins de dureté comme commissaire de la Commission Juncker lors des soi-disant « négociations » avec la Grèce. Si vraiment le sp.a voulait rompre avec cette politique, il faudrait que Kathleen Van Brempt renonce à sa coprésidence de l’Alliance progressiste des socialistes & démocrates et il faudra alors que le sp.a rompe aussi avec le groupe européen des sociaux-démocrates dominés par le SPD de Gabriel et le PS de Hollande.
10. Au lieu de négociations, cette UE mène une guerre économique
« Je crains que le gouvernement allemand, y compris son aile sociale-démocrate, ait dilapidé en l’espace d’une nuit tout le capital politique qu’une meilleure Allemagne avait accumulé en plus d’un demi-siècle18 », a dit le philosophe allemand Jürgen Habermas la semaine dernière. Il a dit aussi : « L’Allemagne s’est proclamée sans vergogne le chef disciplinaire de l’Europe, et a ainsi revendiqué pour la première fois explicitement une Europe sous hégémonie allemande. » Habermas, un des grands défenseurs de l’intégration européenne depuis le début, se trompe. La prise allemande du pouvoir sur l’Union européenne n’est pas nouvelle. La seule chose qui est nouvelle, c’est qu’avec le Diktat de Bruxelles, cela s’est fait de manière éhontée et c’est précisément cette effronterie qui a ouvert des millions d’yeux sur le continent.
Déjà le 30 janvier 2015 — le tout nouveau gouvernement grec était âgé de quelques jours à peine —, le nouveau ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a reçu dans son bureau la visite du président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. Là, il a tout de suite reçu en pleine figure l’alternative que lui offrait Dijsselbloem : « mémorandum ou banques fermées19. » Depuis le tout début, il était clair que les professeurs de vertu de cette Europe libérale ne laisseraient aucune marge à une autre politique. Que la population grecque ait donné lors des élections un signal massif contre la politique d’austérité inhumaine de la Troïka, cela n’avait aucune valeur. « “Les élections ne changent rien. La seule chose qui compte ce sont les accords conclus”, ce sont les mots par lesquels j’ai été accueilli par Schäuble en février à Bruxelles20 », raconte Yanis Varoufakis. « Quand au début de février, j’ai assisté à mes premières réunions à Bruxelles, il y avait déjà dans l’Eurogroupe une forte majorité avec le ministre allemand des Finances comme centre de gravité. Elle avait une mission : bloquer tout accord sur base des points de convergence entre notre nouveau gouvernement et le reste de la zone euro. »
Varoufakis : « Chez les soi-disant défenseurs de la démocratie européenne, il règne un manque absolu des moindres scrupules démocratiques. Des personnages très importants vous regardent droit dans les yeux et vous disent : “Vous avez raison dans ce que vous dites, mais nous allons de toute façon vous écraser”. Vous avancez un argument sur lequel vous avez vraiment travaillé, pour veiller à ce qu’il soit logiquement cohérent, mais vous êtes devant des regards vitreux. C’est comme si vous n’aviez pas parlé. Ce que vous dites est indépendant de ce qu’ils disent. Vous auriez pu tout aussi bien chanter l’hymne national suédois, vous auriez eu la même réponse21. »
Que la population grecque ait donné lors des élections un signal massif contre la politique d’austérité inhumaine de la Troïka, cela n’avait aucune valeur
Pour les tenants du capitalisme calamiteux, la Grèce était un laboratoire. Les faits les plus graves de guerre économique étaient encore à venir. La mise à sac des banques grecques par la Banque centrale européenne. Cette recette drastique émane directement de la stratégie du choc, que Naomi Klein a si bien décrite en son temps dans le livre du même nom. C’est un chantage à la « mort subite ». Pas de liquidités, la fermeture des banques, le gel de l’économie. On devait faire de la Grèce un exemple.
Les négociateurs grecs ont cependant continué à essayer, faute de mieux, de convaincre rationnellement les autres pays européens avec des arguments économiques. Comme s’il s’agissait de négociations sur pied d’égalité et pas d’une guerre économique de la part de la nation la plus puissante financièrement et économiquement. Même en ce dernier week-end dramatique, lorsque le Diktat de Bruxelles a été imposé, les Grecs s’en sont tenus à la stratégie de convaincre, sans le moyen de pression du moindre plan B. « Le ministre des Finances Euclide Tsakalotos s’était préparé très sérieusement. Il avait préparé tout un ensemble d’arguments et il s’attendait à ce qu’on lui oppose des contre-arguments élaborés avec exactitude. Mais au lieu de ça, il n’a trouvé en face de lui que des gens qui récitaient interminablement des règles, des procédures et ainsi de suite22 », raconte Stathis Kouvelakis de Syriza.
La guerre économique contre la Grèce a été rendue possible aussi parce que le pays était isolé. Après la victoire électorale de janvier, les Grecs avaient compté sur un minimum de soutien de la France de Hollande et l’Italie de Renzi, au moins. Mais en février déjà, Tsipras et Varoufakis sont revenus bredouilles de Paris et de Rome. Il était clair que les gouvernements sociaux-démocrates étaient vendus à cette Europe libérale et n’allaient pas bouger un doigt pour faire avec les Grecs une autre politique. Parmi les opposants les plus résolus à la Grèce se trouvaient aussi des pays avec des problèmes similaires, comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Ils n’ont concédé aux Grecs aucun pas en avant, car cela aurait rendu plus visible leur propre capitulation. Varoufakis : « Depuis le début, ces pays ont montré très clairement qu’ils seraient les opposants les plus énergiques à notre gouvernement. La raison était claire : notre succès était leur plus grand cauchemar. Si nous réussissions à négocier un meilleur deal, cela les aurait détruits politiquement : ils auraient dû expliquer à leur propre population pourquoi ils ne négociaient pas comme nous le faisions23. »
11. Dans les jours qui ont suivi le référendum, l’ « ΟΧΙ » du peuple a été corrigé en un « ΝΑΙ » imposé
Dans le référendum du dimanche 5 juillet, la population grecque a voté massivement « non » aux exigences de la Troïka. Dans les circonscriptions ouvrières, le « non » a obtenu plus de 70 %. Dans les quartiers plus riches, on pouvait voir jusque 70 % de votes « oui ». Mais en fin de compte, le « non » l’a emporté dans toutes les circonscriptions du pays. Le résultat était particulièrement frappant dans la jeunesse. Plus de 85 % des jeunes de 18 à 24 ans ont voté « non ». C’est une génération qui a été complètement sacrifiée par la politique des mémorandums de la Troïka et par la faillite politique tant du Pasok (social-démocrate) que de la Nouvelle Démocratie (conservateur). Le référendum a aussi déclenché un processus de radicalisation, avec en point d’orgue les manifestations du vendredi précédent.
L’Allemagne ne savait que trop bien que la Grèce voulait à tout prix rester dans la zone euro et les Grecs ont été publiquement crucifiés avec un diktat humiliant, que le Parlement grec était en outre obligé d’approuver
Après le référendum, l’opposition était sur les genoux. Tant le Pasok que la Nouvelle Démocratie avaient échoué. Plus encore que lors des élections de janvier 2015. Quelques heures seulement après le résultat, le dirigeant de la Nouvelle Démocratie, l’ex-premier ministre Antonis Samaras démissionnait. Le sauvetage est venu de… Tsipras. Le Premier ministre grec a pris l’initiative d’un « conseil des dirigeants politiques », sous la direction du président de la République, qui faisait ouvertement partie du camp du « oui ». À cette réunion, la dynamique née du référendum a été jugulée. On a décidé que la Grèce resterait coûte que coûte dans la zone euro et que le référendum n’était pas un mandat pour rompre les négociations, mais seulement un mandat pour occuper une position plus favorable dans les négociations.
Le gouvernement Tsipras, devenu ainsi de facto un gouvernement d’ « union nationale » a mis sur la table un nouveau plan de négociations contenant des mesures que le référendum avait rejetées. Le « non » du référendum a été changé en « oui » dans les négociations. Et c’est ainsi que le nouveau ministre des Finances Euclide Tsakalotos — son prédécesseur Yanis Varoufakis avait démissionné — et le Premier ministre Alexis Tsipras sont allés désarmés aux négociations respectivement avec l’Eurogroupe (ministres des Finances) et avec le Conseil européen (chefs de gouvernement). Le résultat est connu. L’Allemagne ne savait que trop bien que la Grèce voulait à tout prix rester dans la zone euro et les Grecs ont été publiquement crucifiés avec un diktat humiliant, que le Parlement grec était en outre obligé d’approuver. « Nous étions devant le choix ou bien d’être exécutés, ou bien de capituler. Tsipras a décidé que la capitulation était la meilleure stratégie24 », a raconté Yanis Varoufakis par la suite.
Selon la constitution grecque, le résultat d’un référendum a la même valeur qu’une loi adoptée par le Parlement. Le résultat ne peut en être annulé, si ce n’est par un nouveau référendum. Par le référendum du 5 juillet, le peuple grec a rejeté toute une série de mesures concrètes proposées par la Troïka. Que le Parlement grec ait été obligé le mercredi 15 juillet d’accepter quand même un grand nombre de ces mesures est inconstitutionnel. Mais la suspension de l’État de droit en Grèce aux hérauts d’une Europe néolibérale, ça ne leur fait ni chaud ni froid. « En démocratie, il n’y a pas d’impasse. Le peuple a parlé. Il a dit un grand NON aux ultimatums, aux chantages, aux intimidations, à la propagande et à la terreur. NON aux mémorandums », a dit la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou, ce fameux mercredi 15 juillet lorsque le Diktat de Bruxelles a été soumis au vote. « Nous n’avons pas le droit de transformer ce NON du peuple en OUI par notre vote. Nous n’avons pas le droit non plus de l’interpréter en tant que NON sous conditions. Chacune des mesures contenues dans ledit accord a été rejetée par les citoyens avec une majorité assourdissante. Nous sommes tenus de défendre leur verdict, parce que notre pouvoir réside en eux25. »
Le discours de la présidente du Parlement a été vain. La déclaration de la majorité des membres du conseil du parti de Syriza, le comité central, en faveur du rejet du Diktat de Bruxelles n’y a rien fait non plus. Une grande majorité du Parlement grec a ratifié le Diktat, dans une logique politique du « moindre mal » et sous la forte pression de relever les « dissidents » de leur fonction. C’est ce qui a d’ailleurs eu lieu après le vote. L’ex-ministre de l’Énergie, Panagiotis Lafazanis, le raconte : « Le chantage direct et brutal dirigé par les maîtres du néocolonialisme européen ne constitue pas une excuse suffisante. Je n’accepte pas cette voie à sens unique. Tout comme je n’accepte pas les sanctions ineptes et l’accusation de “désertion” contre ceux qui s’y opposent. Les responsables, ce sont au contraire le Parlement grec et les partis politiques qui ont accepté le “protectorat” sur Athènes, ce sont ceux qui se sont positionnés comme des moutons silencieux ou qui ont accepté le nouveau protocole comme un “mal nécessaire”26. » C’est ainsi qu’en à peine dix jours, l’ « ΟΧΙ » (non) du peuple a été corrigé en un « ΝΑΙ » (oui) imposé.
Entre-temps, Syriza se mue rapidement en la force qui, tout au long du Troisième Mémorandum, va continuer le régime d’une colonie endettée. Le « nettoyage » de Syriza continue aussi. Ces derniers jours, déjà dix ministres ou ministres suppléants ont quitté leur poste ou ont été renvoyés. La soi-disant aide financière, qui pour la plus grande partie retournera immédiatement aux comptes en banque des prêteurs étrangers, ne viendra que par pièces et morceaux. Et pour chaque morceau, la Troïka exigera plus de sang de la population grecque. L’humiliation du gouvernement Tsipras sera sans doute complète. La Troïka poursuivra cette humiliation jusqu’au bout, en obligeant le gouvernement à adopter des mesures qu’aucun gouvernement n’avait prises jusqu’ici. Jusqu’à ce que le gouvernement Syriza puisse être jeté comme un citron pressé.
12. L’euro engendre ses propres fossoyeurs
« Ils ne pouvaient tout simplement pas croire que les Européens réagiraient comme ils ont effectivement réagi27 », dit Stathis Kouvelakis de la plateforme de gauche dans Syriza. « Tsipras et la direction de Syriza ont suivi de manière très consistante la même ligne depuis le début. Ils ont pensé qu’en combinant une approche “réaliste” dans les négociations avec une certaine fermeté rhétorique, ils obtiendraient des concessions. Ils ont cependant été de plus en plus pris au piège de leur ligne, et quand ils l’ont réalisé, ils n’avaient pas de stratégie alternative. » Kouvelakis dit en outre : « Je pense que Tsipras croyait honnêtement qu’il pouvait obtenir un résultat positif par une approche centrée sur la négociation et en faisant preuve de bonne volonté. C’est pourquoi il a dit constamment qu’il n’avait pas de plan alternatif. Il a pensé qu’en apparaissant comme un “Européen” loyal, sans aucun “agenda caché”, il recevrait une certaine forme de récompense. »
L’expérience grecque montre que, dans cette Union européenne, sous la garde de la main de fer de Merkel et des kilos de pactes et de traités où la politique d’austérité est inscrite, il n’y a aucune latitude pour plier, ou même adapter prudemment, l’obsession allemande de l’austérité. Même les « Européens loyaux » sont écartés sans pitié par Berlin dès qu’ils contestent la politique officielle. « Je crois que ça en dit long sur ce qu’il en est de la gauche aujourd’hui. La gauche est pleine de gens qui font pour le mieux, mais qui sont totalement impuissants dans le champ de la politique réelle. Ces gens ont cru jusqu’au bout pouvoir obtenir quelque chose de la Troïka. Ils ont pensé qu’entre “partenaires” ils trouveraient une sorte de compromis. Ils ont pensé qu’ils partageaient certaines valeurs fondamentales comme le respect du mandat démocratique, ou la possibilité d’une discussion rationnelle basée sur des arguments économiques », dit encore Kouvelakis. Cela prouve que cette Union européenne n’est pas bâtie sur les valeurs rationnelles des Lumières françaises, mais repose crûment comme tout projet capitaliste sur les rapports de forces.
Malgré divers avertissements, le gouvernement Syriza n’a pas vu que l’Union européenne ne voulait pas vraiment négocier. L’Union européenne n’a jamais eu l’intention d’arriver à un accord. Mais bien celle de détruire Syriza ou du moins son programme et de mettre fin par là à l’espoir qui était né chez les victimes de la catastrophe humanitaire. « Nous avons eu l’optimisme et la naïveté de croire que les négociations pouvaient déboucher sur un accord juste, honnête et durable. Nous avons sous-estimé leur volonté de destruction. Sans plan B, nous étions pris au piège28 », dit aussi l’ex-ministre de l’Énergie Panagiotis Lafazanis.
L’Union européenne n’a jamais eu l’intention d’arriver à un accord. Mais bien celle de détruire Syriza ou du moins son programme et de mettre fin par là à l’espoir qui était né chez les victimes de la catastrophe humanitaire
« J’ai sans doute surestimé la compétence du gouvernement grec. De manière surprenante, il a pensé après le référendum pouvoir obtenir de meilleures conditions en n’ayant pas en poche de plan de secours, un plan B. Maintenant, il a des conditions clairement plus mauvaises. C’est naturellement un choc29 », a dit Paul Krugman. Selon Yanis Varoufakis, il avait bien été question un moment d’un petit groupe qui préparerait une sortie de l’euro, mais ce plan avait buté sur un « non » du Premier ministre Tsipras. Le plan n’a donc pas été élaboré. Cela n’aurait d’ailleurs pas été simple. Avec la sortie de l’euro et la dévaluation d’une nouvelle drachme, la question de la dette serait restée ouverte. Le gouvernement Syriza a toujours dit vouloir procéder aux remboursements, en échange d’un allègement de la dette. Même cela ne leur a pas été accordé. L’objectif politique était de pouvoir étrangler le gouvernement grec jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il est donc très vraisemblable que les Grecs n’auraient pas obtenu d’allègement de dette non plus en cas de sortie conflictuelle de l’euro. En outre, les dettes auraient alors dû être payées dans un euro plus cher et non dans la nouvelle monnaie dévaluée. En cas de non-paiement des dettes, on aurait sans doute eu un boycott international. On aurait sans doute eu des bons de rationnement pour l’énergie et la nourriture. Dans l’espoir de voir plus tard l’économie se libérer, par les avantages d’une dévaluation (exportation, nouveaux investissements). Il se peut qu’un Grexit soit viable à terme, mais ce qui est certain c’est qu’un tel plan doit être solidement étayé et élaboré.
« La majorité de la population grecque ne voulait pas d’une sortie de l’euro. À l’opposé de Yanis Varoufakis, c’était pour Alexis Tsipras la ligne rouge à ne pas franchir. Pour Tsipras, tout pas vers le Grexit, ou simplement déjà la menace, étaient tabous. Le jeu de poker s’arrêtait là. Les promesses électorales, le non du référendum, une bonne partie de sa crédibilité, tout cela a été sacrifié à maintenir la Grèce dans l’Eurogroupe. Parce que Tsipras ne voulait pas amorcer la bombe monétaire, il était exposé au chantage. Un oiseau pour le chat allemand30 », écrit Paul Goossens. Goossens a raison. Seulement, « l’opinion publique » n’est pas une donnée inerte. L’opinion publique peut elle aussi changer d’idée. Le problème est que le gouvernement Syriza a dès le départ maintenu fermée la porte de la préparation de l’opinion publique à une possible sortie du carcan de l’euro. Pendant la campagne du référendum, on voyait pourtant les lignes bouger. Jour après jour, les grands médias, aux mains des oligarques, racontaient que voter non serait immanquablement un Grexit. Malgré ce chantage, les Grecs ont voté massivement non, sachant d’une certaine manière que cela pouvait mener à une sortie de la Grèce de la zone euro.
« S’il y a une chose qu’on peut reprocher à Tsipras et à son parti, c’est d’avoir été trop europhiles31 », écrit Koen Haegens dans le Groene Amsterdammer. « Ils ont continué à croire en l’Europe jusqu’au bout. De sorte qu’ils ont constamment refusé ces derniers mois de se préparer à un scénario de Grexit. Avec pour conséquence que lorsque ces dernières semaines cela menaçait de se produire, ils ont dû supplier Merkel à genoux de pouvoir rester. À n’importe quel prix. Aucun gouvernement digne du qualificatif de “gauche” ne sera plus jamais aussi naïf à l’avenir. Il est clair une fois pour toutes que celui qui veut une autre politique, plus sociale, n’a rien à espérer de l’euro. En un seul week-end, sur tout le continent, des critiques modérés de la monnaie unique se sont convertis en opposants acharnés. L’euro engendre ses propres fossoyeurs. »
« La concurrence et la chasse au profit sur le libre marché sont la base de l’Union européenne. Elles sont gravées dans les textes de base de l’Union. Elles pourrissent et étouffent tout », ai-je écrit en 2011 dans Comment osent-ils ? « Nous ne devons pas rhabiller de neuf cette construction de la concurrence ni donner une nouvelle couche de peinture aux déséquilibres. Nous avons besoin d’autres fondations. La coopération et la solidarité doivent remplacer la concurrence et l’inégalité. Cela suppose une tout autre Europe. » Ces mots me semblent plus actuels que jamais. L’expérience de la Grèce nous apprend que dans cette Union européenne, il n’y a pas place pour une politique basée sur la coopération, la solidarité, les investissements équilibrés et le développement régional. Il est impossible de changer les traités européens disent les Juncker et les Schäuble de ce monde. Mais quand ça les arrange, ils sont les premiers à changer « les règles ». Il en a été ainsi lors des dépassements des normes de Maastricht par l’Allemagne et par la France, il en a été ainsi lors de la crise bancaire et il en est encore ainsi avec la menace de jeter la Grèce à la porte d’Euroland, tandis que ce n’est prévu dans aucun traité. Nous devons utiliser cette crise pour passer en revue d’un œil critique les traités existants. Il doit être possible d’autoriser les transferts financiers de solidarité, de développer des monopoles publics, d’intervenir politiquement avec la Banque centrale européenne et d’utiliser le budget pour de nécessaires investissements industriels sociaux et écologiques sans la muselière de normes d’austérité. Si l’Europe veut survivre, ses fondements devront changer. L’alternative, c’est que toute l’Union éclate et que les tensions nationalistes du début du 20e siècle refassent leur entrée dans ce jeune 21e siècle.
13. L’expérience grecque a fait réfléchir des millions d’Européens
« Nous devons être reconnaissants à Tsipras et les siens qu’ils ont provoqué des fissures dans la carapace de béton du conformisme bruxellois. Ils ont fait réfléchir des millions d’Européens, jusqu’au café du village32 », écrit Geert Van Istendael sur le site du magazine MO*.
Van Istendael a raison. Les peuples d’Europe sont plus riches d’une expérience et quoi qu’on pense de Syriza, c’est grâce à une certaine confrontation entre le gouvernement grec et les préfets de discipline allemands de l’Union que, partout, les yeux se sont ouverts. Dans le journal financier Trends, le rédacteur en chef Jozef Vangelder note : « Selon les uns, il est un grand stratège, selon les autres un narcisse bricoleur. Mais il faut reconnaître une chose à Alexis Tsipras : il a tenu tête pendant six mois à une dirigeante mondiale comme la chancelière fédérale allemande Angela Merkel et, avec elle, à tous les autres ténors européens. Pas mal pour le Premier ministre d’un poids plume économique. La part de la Grèce dans le produit intérieur brut de la zone euro était l’an dernier de 1,8 %33. » Finalement, le poids plume Tsipras a été mis KO par le poids lourd allemand et ses alliés. Reste le fait que depuis l’instauration de l’euro en 2002, aucun gouvernement n’a osé relever le gant contre la politique de rigueur monétariste coulée par Francfort dans toutes les lois et tous les traités de l’Union européenne.
Ce n’est pas parce qu’il a dû abandonner devant un chantage inhumain qu’on peut faire comme si le gouvernement grec n’avait pas lutté
Pour toute sorte de raisons, le gouvernement Syriza ne pouvait aller plus loin que ce que lui permettaient ses moyens. Il était impossible à un poids plume d’humanistes quelque peu naïfs de gagner dans une catégorie de poids supérieure à la sienne. Ce n’est pas parce qu’il a dû abandonner devant un chantage inhumain qu’on peut faire comme si le gouvernement grec n’avait pas lutté. En 2011, je parlais du caractère dictatorial de cette Union européenne et de la nécessité de repenser complètement l’Europe. Mais ça, c’était un livre. Par l’expérience de la confrontation du gouvernement grec avec les institutions européennes, il y a maintenant en Europe des millions de gens qui ont compris le caractère de cette Union. Cette compréhension ne peut pas être simplement ignorée. On avait besoin de l’expérience que l’attitude conciliatrice du gouvernement grec face à cette Union était une impasse. Ce n’est pas un détail. C’est pour les luttes à venir en Europe une leçon que beaucoup de gens ont maintenant comprise. « Toute une génération qui a grandi dans l’idée que l’Europe était une garantie politique et économique de la paix, du progrès, de la coopération et de la solidarité commence à douter de l’Europe34 », écrit l’éditorialiste Yves Desmet dans De Morgen. « L’image de l’Europe comme géant bienveillant et protecteur est finalement ébranlée. L’Europe d’aujourd’hui est celle des créanciers, et non plus celle des endettés. C’est l’Europe du 1 % du dessus, des élites et des banques dont les lobbys sont tellement plus forts et pèsent tellement plus lourd que ceux du Grec moyen. »
De l’autre côté aussi, on a compris la leçon. « Je suis surtout inquiet des risques de contagion politique et idéologique. Parfois, il me semble que certains politiciens et quelques intellectuels en Europe sont prêts à remettre tout en question en Europe, les traités, mais aussi la façon traditionnelle de penser l’Europe, la construction européenne et nos valeurs35 », a déclaré au Monde le président européen Donald Tusk. « La Russie n’est pas l’élément le plus important de cette menace. À mon avis, l’atmosphère aujourd’hui est très similaire à 1968 en Europe. Je sens un état d’esprit, peut-être pas révolutionnaire, mais d’impatience. Mais quand l’impatience devient un sentiment collectif, elle peut conduire à une révolution. Le chômage massif des jeunes est peut-être la raison la plus claire et visible. »
L’expérience grecque s’est terminée dans une défaite temporaire. Mais si les leçons du drame se greffent sur de nouveaux mouvements de lutte en Europe, ceux-ci ne peuvent que s’en trouver plus forts.
Peter Mertens, De Wereld Morgen, 24 juillet 2015.
1. NOS.nl, 14 juillet 2015 • 2. Cité dans De Tijd, 16 juillet 2015 • 3. CADTM, 20 juillet 2015, cadtm.org/Discours-de-Zoe-Konstantopoulou-en • 4. De Standaard, 18 juillet 2015 • 5. Der Spiegel Online, 18 juillet 2015 • 6. Deutsche Wirtschafts Nachrichten, 15 juillet 2015 • 7. Deutsche Wirtschafts Nachrichten, 15 juillet 2015 • 8. FMI, 14 juillet 2015 • 9. Knack.be, 20 juillet 2015 • 10. De Morgen, 13 juillet 2015 • 11. Cité dans De Tijd, 16 juillet 2015 • 12. Handelsblatt, 17 juillet 2015 • 13. Deutsche Wirtschafts Nachrichten, 21 juillet 2015 • 14. German Foreign Policy, 23 juillet 2013 • 15. De Tijd, 14 juillet 2015 • 16. Knack.be, 16 juillet 2015 • 17. Die Zeit Online, 15 juillet 2015 • 18. The Guardian, 16 juillet 2015, http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jul/16/jurgen-habermas-eu-greece-debt-deal • 19. Le Journal des Rédacteurs, 20 juillet 2015 • 20. Die Zeit, 15 juillet 2015 • 21. New Statesman, 7 juillet 2015, http://www.newstatesman.com/world-affairs/2015/07/exclusive-yanis-varoufakis-opens-about-his-five-month-battle-save-greece • 22. Jacobin Magazine, 16 juillet 2015 • 23. New Statesman, 7 juillet 2015, http://www.newstatesman.com/world-affairs/2015/07/exclusive-yanis-varoufakis-opens-about-his-five-month-battle-save-greece • 24. RT, 18 juillet 2015 • 25. CADTM, 20 juillet 2015 (http://cadtm.org/Discours-de-Zoe-Konstantopoulou-en) • 26. News 247, 18 juillet 2015 • 27. Jacobin Magazine, 16 juillet 2015 • 28. L’Humanité, 13 juillet 2015 • 29. FAZ, 20 juillet 2015 • 30. De Standaard, 18 juillet 2015 • 31. De Groene Amsterdammer, 13 juillet 2015 • 32. MO, 20 juillet 2015 • 33. Trends, 17 juillet 2015 • 34. De Morgen, 16 juillet 2015 • 35. Le Monde, 13 juillet 2015
Article publié dans le mensuel Solidaire de septembre 2015. Abonnement.
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