Un syndicat oblige le géant de l’acier Tata Steel à rendre sa production plus écologique

Aux Pays-Bas, le géant de l’acier Tata Steel a abandonné le charbon au profit de l’hydrogène vert pour produire fer et acier. Une victoire pour le syndicat FNV et les travailleurs de Tata Steel, qui se sont battus pendant des mois, avec le soutien des principales organisations environnementales du pays. Explications de Roel Berghuis (FNV Metaal).

Au printemps 2020, la FNV Metaal a mené une grève de 24 jours contre le licenciement de 1 200 personnes. Elle a obtenu gain de cause et, dans la foulée, exigé des garanties pour l’avenir de l’entreprise sidérurgique de la petite ville portuaire d’Ijmuiden. Des investissements sont nécessaires pour s’attaquer aux problèmes environnementaux et aux émissions de CO2. Ce sont surtout les émissions de substances nocives pour la santé des riverains qui menacent l’entreprise. Un rapport de l’Institut national pour la santé publique et l’environnement (RIVM) montre que les personnes vivant à proximité de l’usine sont exposées à de fortes concentrations de substances toxiques.

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Pourquoi le syndicat s’est-il lui-même chargé d’élaborer un plan « Acier vert » ?

Roel Berghuis. L’entreprise était tellement critiquée que les travailleurs se disaient : « On va mettre la clé sous le paillasson. » De plus en plus de gens se sont ralliés à l’idée de trouver une alternative. Le réchauffement de la planète n’est pas un héritage à laisser à nos enfants et petits-enfants. Nous ne pouvons pas continuer à produire de l’acier comme nous le faisons actuellement, tout le monde le sait. Le mouvement syndical doit prendre les choses en main. Sans prendre de risques, on n’arrive à rien. Chaque syndicat doit s’intéresser de beaucoup plus près à l’avenir de son secteur. Si on n’a pas de vision, on laisse les autres imposer la leur.

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Roel Berghuis Roel

Berghuis a commencé sa carrière à 17 ans comme fondeur chez Hoogovens, aujourd’hui Tata Steel. Il a été actif chez les jeunes du Parti communiste des Pays-Bas, devenu en 1990 le parti GroenLinks. À l’âge de 27 ans, il suit une formation professionnelle supérieure en ressources humaines. Comme son frère Jan, qui travaillait également chez Hoogovens, il rejoint la FNV Metaal.

D’abord militant syndical, il devient délégué principal. En janvier 2020, après avoir occupé diverses responsabilités, la FNV lui demande de devenir secrétaire syndical chez Tata Steel, où les tensions sociales sont déjà vives, ce qu’il fait à la mi-mars, au tout début de la crise du coronavirus. Loin de confiner la lutte syndicale, il lui donne au contraire un nouveau souffle.

En 2020, il décide de combiner la lutte pour préserver les emplois menacés et celle pour l’investissement pour prendre le problème de l’environnement et des émissions de CO2 à bras-le-corps. Roel Berghuis prendra sa pension en janvier 2022.

Tata Steel a récemment proposé un plan. Qu’en pensez-vous ?

Roel Berghuis. Le plan de Tata Steel consistait à stocker du CO₂ dans des gisements de gaz vides en mer du Nord. C’est ce qu’on appelle le CSC (captage et stockage du dioxyde de carbone). Cela ne fait que traiter les symptômes du problème, ce n’est pas une solution. La population ne va pas soutenir un tel projet. Elle n’accepte plus que l’on cache ainsi la poussière sous le tapis. 

Le captage et le stockage du carbone sont par ailleurs ruineux en investissements, en raison des coûts d’installation élevés et des coûts de maintenance qui y sont associés. En outre, il faudra encore des années avant que cette technologie n’atteigne un niveau suffisant. Le capital investi risque par ailleurs de partir en fumée car l’hydrogène est voué à devenir la solution, si l’on en croit la manière dont l’Europe mise sur cette technologie.

Le plan de Tata Steel n’offrait pas non plus de solution à la menace la plus aiguë pour la pérennité de l’industrie sidérurgique à IJmond, à savoir les nuisances environnementales. Avec le plan de CSC, la cokerie 2, qui est responsable des émissions de substances polluantes dans l’environnement, ne fermerait pas avant 2034.

Quelle est votre alternative ?

Roel Berghuis. Lors d’une phase initiale, les hauts fourneaux font place à des fours à arc électrique, combinés à du DRI (Direct Reduced Iron, production de fer préréduit – voir encadré). Les fours à arc électrique sont alimentés à l’électricité (verte) et le DRI à l’hydrogène. La technologie des fours à arc électrique et du DRI a déjà fait ses preuves. C’est un procédé sidérurgique fiable. Une telle technologie pourrait être opérationnelle en quatre ans seulement. Même si les stocks d’hydrogène ne suffiront pas d’ici là, il est possible, dans l’intervalle, de produire du DRI au gaz naturel, ce qui permet déjà de réduire considérablement les émissions de CO2 par rapport au charbon. D’ici 2030, l’hydrogène devrait être disponible en quantité suffisante pour produire le DRI et atteindre les objectifs climatiques. 

Cette solution présente le grand avantage d’éviter directement la production et, donc, le stockage du CO2. Elle aura aussi un effet net en matière de réduction des nuisances pour le voisinage immédiat. Les riverains veulent que la cokerie 2 ferme le plus vite possible et c’est aussi prévu dans notre plan.

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De l’acier vert ?

En Europe, l’acier est encore produit principalement à partir de minerai de fer dans des hauts fourneaux au charbon. Si ce processus donne un acier de haute qualité, il est également source d’énormes émissions de CO2.

Aujourd’hui, l’industrie sidérurgique européenne suit deux voies pour réduire les émissions de CO2. La première conserve les hauts fourneaux pour produire de l’acier à partir du charbon, mais avec une technologie qui permet de remplacer une partie du charbon par d’autres composants, et de capter et stocker le CO2 émis dans le sous-sol (plus communément appelé CSC - Captage et Stockage de dioxide de Carbone). Il s’agit toutefois d’une technologie qui n’a pas encore fait ses preuves au niveau industriel et qui présente des risques. Elle repose encore et toujours avant tout sur l’utilisation du charbon, un combustible fossile très polluant.

La seconde méthode consiste à remplacer les hauts fourneaux par la production de fer préréduit (mieux connu sous le nom de DRI - Direct Reduced Iron), qui passe ensuite dans un four à arc électrique. Ce procédé est aujourd’hui utilisé à un niveau industriel. Le processus de réduction directe est alimenté au gaz naturel, qui émet considérablement moins de CO2 que le charbon. Le gaz naturel peut être remplacé par de l’hydrogène vert, ce qui signifie qu’il n’y aurait alors plus d’émissions de CO2. Cela nécessite des investissements colossaux dans la production d’énergie renouvelable pour produire de l’hydrogène vert.

La production d’acier par le procédé de réduction directe couplé à un four à arc électrique est considérée comme le moyen le plus sûr et le plus novateur de produire de l’acier vert.

Envisagez-vous d’autres opportunités pour l’entreprise ?

Roel Berghuis. Le site d’IJmuiden présente d’énormes avantages : sa situation en bord de mer, avec un port en eau profonde, ouvre de nouvelles possibilités. On peut y créer un complexe industriel avec de nouvelles industries manufacturières tournées vers l’avenir, actives notamment dans la construction et la maintenance d’éoliennes de dernière génération. Ce projet s’accompagnera de la construction d’un nouveau laminoir à tôles épaisses, à partir desquelles sont fabriqués les mâts.

L’entreprise tournera à l’éolien offshore. Elle pourra aussi contribuer à développer l’énergie éolienne en mer, en produisant sur place l’acier destiné aux turbines, mais aussi en construisant des turbines avec des partenaires et en les installant en mer. La génération actuelle d’éoliennes est tellement volumineuse que le transport par route est extrêmement complexe. Ici, elles sont fabriquées en bord de mer. Cela permet de développer divers partenariats et produits dans le pôle métal-énergie qui peuvent renforcer l’activité dans la région et contribuer à l’emploi et à la prospérité.

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Comment commence-t-on à élaborer un tel plan ?

Roel Berghuis. J’ai toujours organisé autour de moi des personnes susceptibles de faire avancer la FNV et moi-même : des spécialistes, des économistes, des administrateurs ou encore des experts. L’ancien directeur de Hooghovens (le nom de l’aciérie lorsqu’elle était encore une entreprise publique), Piet Joustra, lui aussi extrêmement préoccupé par la survie de l’usine, est venu me voir en mars 2020. Il est par la suite devenu président du groupe de travail Zeester, auquel participent des scientifiques et des professeurs aux compétences diverses.

Ce groupe a produit un rapport sur l’avenir de la centrale, sur le plan technologique mais aussi de la gouvernance. C’est ce rapport qui a servi de base à notre plan « Acier vert ». Malgré sa bonne réputation, De Zeester reste un groupe de bénévoles, aussi compétents soient-ils. En tant que syndicat, nous sommes en position de poser un ultimatum, par exemple, et nous sommes l’interlocuteur officiel de la direction. C’est pour cela que cette coopération était importante.

Vous êtes soutenus par des associations environnementales. Le mouvement climatique qui soutient un syndicat de l’acier, ce n’est pas commun...

Roel Berghuis. Pour garantir à la fois la transition énergétique et l’emploi, nous avons souhaité ouvrir le débat sur la voie à prendre pour rendre la production d’acier plus verte (voir encadré). Nous avons fait valoir que l’État néerlandais devait participer au financement de la voie de l’acier vert. Si l’on veut préserver et protéger l’industrie de base aux Pays-Bas, il faut la nationaliser partiellement. Les groupes environnementaux du pays sont d’accord avec nous. 

Nous avons commencé par contacter des porte-parole du mouvement climatique, ce qui n’était pas dans les habitudes de la FNV chez Tata Steel. L’ensemble du mouvement environnemental national - Milieudefensie, Greenpeace, Urgenda et la Société néerlandaise pour la nature et l’environnement - a approuvé notre plan et adressé un courrier commun au ministre des Affaires économiques et du Climat.

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Au début, il y avait aussi une certaine résistance vis-à-vis du mouvement climatique. Pourquoi ?

Roel Berghuis. Si vous ne faites que dire que telle ou telle entreprise est nocive, vous vous mettez aussi les travailleurs à dos. Les gens n’apprécient pas que l’on ne fasse que critiquer leur entreprise. Même quand c’est juste, cela les heurte. Nous devons avoir des contacts, faire le lien entre les intérêts des travailleurs et ceux du climat et nous entraider.

Tata Steel a finalement décidé d’abandonner le charbon et d’accepter la proposition du syndicat. Quel regard portez-vous sur cette première victoire importante ?

Roel Berghuis. Si Tata Steel a décidé de passer à l’acier vert, c’est grâce aux métallos et à la FNV. Cette victoire est essentielle pour le maintien de cette industrie aux Pays-Bas.

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Qu’attendez-vous du gouvernement ?

Roel Berghuis. Le gouvernement accorde des subventions aux projets de CSC, mais pas à la fabrication d’acier basée sur la technologie DRI, comme nous le proposons. Nous demandons que les règles d’attribution de fonds destinés à la réduction du CO2 soient adaptées afin de pouvoir subventionner toutes les initiatives. Désormais, tous ceux qui stockent le CO2 en mer peuvent obtenir des subventions. On parle de milliards d’euros. Nous préférons utiliser ces milliards pour réaliser de nouvelles installations de production d’acier vert, et de traiter ainsi directement le problème à la source.

Et nous demandons au gouvernement national d’être acteur du développement de l’industrie sidérurgique dans la région. Je pense que les travailleurs néerlandais seront mieux servis si l’État participe à une structure en partie publique, pour déterminer les décisions et les investissements stratégiques, pour préserver l’industrie de base et pour protéger les intérêts des travailleurs.